L’Apple Watch n’est plus seulement un capteur d’activité ; elle devient peu à peu un outil de recherche médicale à grande échelle. Une nouvelle étude menée par des chercheurs du MIT et d’Empirical Health démontre qu’un modèle d’intelligence artificielle entraîné sur 3 millions de jours de données issues de l’Apple Watch peut prédire plusieurs pathologies avec une précision jugée remarquable.
comprendre plutôt que deviner
Au cœur de cette avancée, se trouve une idée en pleine ascension dans la recherche mondiale : les world models, ces IA capables de comprendre un système même lorsque les données sont lacunaires ou irrégulières. Le travail s’appuie sur l’architecture JEPA (Joint-Embedding Predictive Architecture), proposée en 2022 par Yann LeCun, alors Chief AI Scientist de Meta.
Contrairement aux IA classiques – qui tentent de prédire la donnée manquante –, JEPA apprend à prédire ce que ces données représentent. Une différence subtile, mais stratégique : l’algorithme n’a plus besoin d’un historique parfaitement propre ou continu pour progresser.
Appliquée à l’image, cette approche permet de comprendre le contexte d’une scène dont une partie est masquée. Appliquée à la santé, elle devient un outil puissant pour traiter les données imparfaites issues de montres connectées.
Une masse de données colossale !
L’étude, intitulée JETS: A Self-Supervised Joint Embedding Time Series Foundation Model for Behavioral Data in Healthcare, repose sur un jeu de données particulièrement riche : 16 522 participants, 3 millions de jours de mesures et 63 types de métriques issues de l’Apple Watch (cardio, respiration, sommeil, activité physique…)
Notons que 85 % des participants n’avaient aucun historique médical renseigné. Dans tout autre type d’approche supervisée, ces données seraient inutilisables. Ici, elles deviennent au contraire un moteur d’apprentissage.
Les chercheurs ont transformé chaque mesure quotidienne en token (jour, métrique, valeur), l’ont masquée en partie, puis ont demandé au modèle JETS de prédire non pas les chiffres manquants mais leur représentation.
Des performances jamais vues pour un modèle basé sur des données aussi irrégulières
Après son pré-entraînement massif, JETS a été évalué sur un sous-groupe de patients ayant des dossiers médicaux complets. Les résultats, mesurés via AUROC, sont particulièrement encourageants : Hypertension (86,8 %), Sick sinus syndrome (86,8 %), Chronic fatigue syndrome (81 %), Atrial flutter : 70,5 %.
Les valeurs AUROC ne sont pas une précision brute, mais une mesure de la capacité du modèle à distinguer correctement des cas positifs et négatifs. Pour des maladies souvent difficiles à détecter, les scores sont significatifs. À noter : certaines métriques n’étaient enregistrées que 0,4 % du temps, d’autres 99 %, ce qui montre la robustesse du modèle face à l'aléa de données issues d’objets du quotidien.
Qu'en penser ?
Cette étude démontre que les données imparfaites d’appareils comme l’Apple Watch ne sont pas un obstacle, à condition d’utiliser les bons modèles d’IA. Ensuite, que le potentiel diagnostique des wearables reste largement sous-exploité. À l’heure où Google, Samsung et Apple investissent massivement dans l’IA contextuelle, cette approche pourrait permettre de détecter des signaux faibles avant l’apparition d’une maladie, d’améliorer le suivi des pathologies chroniques, et d’ouvrir la voie à une médecine préventive ultra-personnalisée. Les auteurs rappellent toutefois qu’il s’agit d’un modèle de recherche, non d’un dispositif médical validé. Mais une chose est claire : les montres connectées passent du statut de gadget bien-être à celui de capteur stratégique pour la santé publique.