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4 décisions que Steve Jobs a d’abord refusées (puis adorées)

Par Nicolas Sabatier - Publié le

Les grands patrons d’entreprise sont fréquemment glorifiés comme des devins, ayant anticipé l’avenir. Steve Jobs est régulièrement décrit comme un visionnaire ayant construit le futur de l’informatique. Cependant, nous allons voir qu’il s’est souvent trompé et qu’il était, au final, très pragmatique.

4 décisions que Steve Jobs a d’abord refusées (puis adorées)


La semaine dernière, nous avons vu qu’une des qualités cachées de Steve Jobs était sa capacité à négocier au mieux, même en situation de faiblesse par rapport à son interlocuteur. Nous allons voir dans cet article que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le co-fondateur d’Apple n’était pas arc-bouté sur ses idées et pouvait en changer rapidement.

Des opinions changeantes



Jeff Bezos. À gauche, il vend des livres. À droite, il botte des culs.
Jeff Bezos. À gauche, il vend des livres. À droite, il botte des culs.


Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a dit que, pour avoir souvent raison, il faut souvent changer d’avis. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un grand patron n’est pas quelqu’un qui sait tout et qui impose ses convictions. Bien au contraire : il sait écouter les personnes qui l’entourent et changer son opinion en écoutant les arguments.

Steve Jobs le dira d’ailleurs lors de son discours devant les étudiants de Stanford en 2005.

« Ne vous laissez pas piéger en étant dogmatique : c’est vivre selon les résultats de la pensée des autres. »




Il peut se permettre de changer ses positions aussi parce qu’il s’entoure de personnes compétentes dont il respecte l’expertise.

Aqua : la nouvelle interface pour Mac OS X



4 décisions que Steve Jobs a d’abord refusées (puis adorées)


Quand Apple travaille sur Mac OS X, il n’est pas prévu que celui-ci ait une interface différente des systèmes précédents. Au contraire, il y a la volonté de la part de Steve Jobs de faire en sorte que Mac OS X se comporte le plus possible de la même manière que ce qu’on appellera Mac OS Classic.

De plus, le système était déjà extrêmement en retard. Développer un nouveau langage visuel demanderait un travail important qui risque de retarder encore plus le projet. Cependant, beaucoup de personnes autour de Jobs lui disent que c’est peut-être le moment rêvé pour moderniser les visuels vieillots du Mac. Néanmoins, Jobs est inflexible : il faut absolument que Mac OS X soit le clone visuel de son prédécesseur.

Malgré tout, les designers sont mécontents : ils ont l’impression de régresser. Il faut rappeler que beaucoup ont travaillé sur NeXTSTEP et OPENSTEP qui avaient une interface moderne. Ainsi, certains décident de travailler sur une toute nouvelle interface en s’inspirant du design de l’iMac G3, en secret.

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Ils utilisent la transparence, des formes tout en rondeur et des couleurs translucides. Lors d’une grande réunion, ces designers présentent leur travail plus pour la blague qu’autre chose. Tout le monde rit quand le designer présente la nouvelle interface car ils savent qu’étant donné la taille immense du projet, il est impossible qu’elle soit implémentée dans les temps.

Deux semaines plus tard, les designers sont convoqués par Jobs et il les traite d’idiots en égrenant tout ce qui ne va pas dans le design montré. Cependant, en discutant avec eux, il se rend compte qu’il peut en faire quelque chose. Il leur demande de travailler sur un prototype sérieux et quand il le voit, il leur dira :
« Vous êtes les premiers à Apple que je vois avec une intelligence à trois chiffres »


Et il décidera que la nouvelle interface, qui sera appelée Aqua, sera livrée avec Mac OS X.

iTunes sur Windows



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Quand le tout premier iPod sort, il n’est compatible qu’avec le Mac. En effet, le lecteur MP3 d’Apple utilise le logiciel iTunes pour synchroniser la musique entre l’iPod et le Mac, disponible uniquement sur les Mac.

Cependant, de nombreux ingénieurs chez Apple veulent que l’iPod soit compatible avec Windows. En effet, le marché du Mac se limite à vingt-cinq millions de consommateurs, alors que le marché Windows en couvre cinq cents millions. Jobs est vent debout contre l’idée d’ouvrir l’iPod au PC. Alors que tous les cadres de l’entreprise, d’Eddy Cue en passant par Phil Schiller et Jon Rubinstein, lui demandent régulièrement de revoir ses positions, il entre dans une colère noire en criant dans les couloirs d’Apple :

« Je n'amènerai jamais l'iPod au PC ! Vous m’entendez, jamais ! »


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Mais au fur et à mesure, il se rend compte que l’iPod a une grande importance pour Apple et qu’il serait contre-productif de le cantonner à la petite bulle Mac. Jobs change d’opinion.

« C’est une opportunité tellement exceptionnelle de redéfinir le marché de la musique qu’on ne va pas uniquement l’utiliser pour vendre des Mac »


Et puis, l’iPod sert de cheval de Troie : Jobs pense qu’une fois dans leurs mains, l’iPod poussera les clients à s’intéresser aux autres produits Apple.

Début 2002, Jobs signe partenariat avec le logiciel MusicMatch, logiciel qui permet de lire des MP3 sur Windows, leur permettant de synchroniser les fichiers avec l’iPod. Néanmoins, l’expérience est moins bonne que sur le Mac et Apple décide de développer iTunes sur Windows.

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L’App Store de l’iPhone



4 décisions que Steve Jobs a d’abord refusées (puis adorées)


Au départ, l’iPhone original est très limité. En effet, il ne possède pas de GPS, il ne peut pas enregistrer de vidéos, ne gère pas le copier/coller et ne possède que 16 applications. Pas plus : il est impossible d’en installer d’autres. Il est tout de même possible d’intégrer des applications Web sur l’écran, apparaissant comme des applications natives, mais qui à l’utilisation sont limitées (d’autant plus que Flash n’est pas disponible sur la plateforme). Impossible donc d’installer d’autres applications natives légalement.

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Steve Jobs a toujours été contre la possibilité d’installer des applications tierces. Bien qu’il présente les applications web comme la solution parfaite, il fait preuve d’hypocrisie. Si c’était le cas, pourquoi Apple se serait embêté à développer des applications natives, nécessitant la création d’API ?

Néanmoins, Steve Jobs a des arguments qui sont pertinents. Il estime qu’Apple n’a pas suffisamment de main-d’œuvre pour pouvoir gérer un afflux d’applications. En effet, s’il ouvre l’accès aux iPhone, il veut le faire via un système centralisé où chaque application sera évaluée pour éviter le risque d’installation de virus ou d’applications médiocres, mal conçues ou instables. Il faut aussi éviter que les applications utilisent trop de données, au risque de faire tomber le réseau d’AT&T, déjà fragile.

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Malgré tout, beaucoup de ces lieutenants, comme Scott Forstall, militent sans relâche pour donner l’accès aux API de l’iPhone aux développeurs tiers. S’ensuit une danse qui ressemble beaucoup à celle autour de l’ouverture de l’iPod à Windows avec Jobs farouchement contre, et tout le monde autour de lui le suppliant de céder. D’autant plus que des développeurs doués n’ont pas attendu : ils décortiquent l’iPhone et son système et commencent déjà à développer de vraies applications impressionnantes. Toute une communauté se crée autour de ce qu’on appelle le jailbreak qui permet de contourner les mesures de sécurité de l’iPhone pour développer des applications (ou le faire fonctionner sur un autre réseau que celui d’AT&T).

Sous la pression de son entourage, Steve Jobs annonce la sortie du SDK pour février 2008. L’annonce se fait une semaine après la sortie d’un App Store illégal, appelé Installer.app, ce n’est pas un hasard. L’iPhone OS 2 sort le 11 juillet 2008 et permet pour la première fois de télécharger des applications tierces sur son iPhone avec l’App Store.

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La stratégie du Mac comme hub multimedia



Pour ceux qui se rappellent les années 90, le mot qui faisait le buzz était multimedia. Cela correspondait à la possibilité des ordinateurs à gérer le son, l’image ainsi que la vidéo. NeXT et Be en avaient fait leur cheval de bataille, en montrant notamment la capacité de leurs systèmes à afficher plusieurs vidéos en même temps.

Cela parait évidemment commun aujourd’hui mais regarder une vidéo sur ordinateur il y a 30 ans était assez exceptionnel. N’ayant pas de Mac à l’époque, je n’ai pas connu QuickTime. Ainsi, la première vidéo que j’ai pu voir sur mon ordinateur était celle fournie dans le CD d’installation de Windows 95 : le clip vidéo de Weezer pour la chanson Buddy Holly.



Il est ainsi naturel pour Steve Jobs de centrer toute la stratégie du Mac autour du multimedia. Il appelle cela le Digital Hub et l'annonce en 2001 : notre vision est que le Mac sera le Digital Hub, ajoutant de la valeur aux appareils numérique. Jobs cite alors tous les appareils pouvant se connecter au Mac : téléphone, lecteur CD, lecteur MP3, lecteur DVD, caméscope numérique, appareil photo numérique, PDA et j’en passe. Le Mac sera le centre de la vie numérique des utilisateurs.



Il mettra énormément l’accent sur les capacités vidéo du Mac, notamment grâce à iMovie. À l’époque, il est persuadé que c’est la vidéo qui fera la différence entre le Mac et le monde du PC. Il est vrai qu’avec ses ports FireWire et QuickTime, le Mac est bien mieux équipé pour gérer la vidéo que tout ce qui tourne sous Windows. D’ailleurs, pour une fois, Apple est en avance sur les usages en proposant de téléverser les vidéos sur une plateforme en ligne d’Apple vous permettant de streamer vos vidéos. En clair, en 2001, Apple faisait l’équivalent de Youtube, cinq ans avant sa création.

Bien que la présentation est, comme toujours, un bonheur à regarder, Steve Jobs se trompe. L’ordinateur ne sera jamais le centre multimedia du foyer.

Le toute première Xbox : noter la qualité du design tout en finesse.
Le toute première Xbox : noter la qualité du design tout en finesse.


Steve Jobs n’était pas le seul à avoir une stratégie de ce genre. Dans le même temps, on a parlé de la bataille du salon avec des géants essayant de contrôler le salon des familles avec un ordinateur connecté à la TV. C’est pour cela que Microsoft a créé la Xbox qui pouvait se connecter à Internet. L’objectif était d’avoir une console de jeu, certes, mais surtout connectée, permettant de regarder des vidéos, jouer de la musique et pourquoi pas regarder la télévision. Microsoft a poussé le concept à son paroxysme avec la Xbox One et s’est totalement planté. Le multimedia, au final, n’a jamais vraiment eu d’écho auprès du grand public.

"Peut-être que la stratégie du Digital Hub n'est pas la bonne..."
"Peut-être que la stratégie du Digital Hub n'est pas la bonne..."


Steve Jobs s’en rend compte avec le succès de l’iPod et il fera un pivot. Fini le Digital Hub. La stratégie est de créer des ordinateurs plus faciles à utiliser, plus personnel, plus proche de soi, que l’on peut emporter partout et synchronisés par Internet. Ce qui va donner l’iPhone, l’iPad et plus tard l’Apple Watch. Au final, le Digital Hub est sans doute plus l’iPhone que le Mac avec les AirPods, Apple Watch et tout ce qui a besoin d’une connexion Bluetooth pour fonctionner.

Par ailleurs, le Mac ne peut plus prétendre au rôle de Digital Hub dès lors qu’il n’est plus au centre des échanges numériques. L’époque où l’on connectait tous ses appareils à son Mac pour y transférer ou synchroniser ses données est révolue : désormais, tout transite par Internet. La musique, les films, les séries, les vidéos sont majoritairement diffusées en streaming, et iWeb a perdu de sa pertinence à une époque où le grand public privilégie une présence sur les réseaux sociaux plutôt que la création de sites web.

4 décisions que Steve Jobs a d’abord refusées (puis adorées)


Heureusement, Steve Jobs a su reconnaître son erreur et changer sa stratégie à temps. Il aurait pu s’entêter, pensant avoir raison contre tout le monde mais cela n’a pas été le cas.

Accepter d’avoir eu tort est un signe de maturité et d’intelligence. Cela demande de l’humilité et une constante remise en question. Mais cela demande aussi d’être bien entouré et de savoir choisir les meilleurs éléments pour les embaucher…