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Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?

Par Nicolas Sabatier - Publié le

Apple a décidé de changer sa façon de fonctionner avec les médias. Des journalistes réputés, comme John Gruber, n’ont plus un accès privilégié comme par le passé. Cupertino préfère donner la primeur à d’autres relais, plus grands publics et moins critiques. Une stratégie qui se comprend, mais qui peut s’avérer risquée sur le long terme.

Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?


Un article qui vexe Apple



Quelques mois avant la WWDC, nous vous avions relayé un article de John Gruber qui revenait sur le fiasco d’Apple Intelligence. Son article a fait d’autant plus le buzz que Gruber est assez connu dans le milieu. Il couvre l’actualité d’Apple depuis le début des années 2000 avec son blog Daring Fireball et est sans doute le blogger le plus connu, et respecté. Le retentissement de son article vient aussi du fait qu’il est aussi généralement plutôt bienveillant vis-à-vis Apple.

Les personnalités marquantes d'Apple participaient chaque année, depuis 2015, au Talk Show lors de la WWDC, comme ici Phil Schiller et Craig Federighi en 2017.
Les personnalités marquantes d'Apple participaient chaque année, depuis 2015, au Talk Show lors de la WWDC, comme ici Phil Schiller et Craig Federighi en 2017.


John Gruber est aussi connu pour son podcast The Talk Show où il parle de l’actualité d’Apple avec un invité chaque semaine. Chaque année, pour la WWDC, il en profite pour faire un épisode spécial filmé et en public. Depuis 2015, des dirigeants d’Apple étaient invités chaque année, comme Craig Federighi, Greg Joswiak ou encore Phil Schiller.

Or cette année, pour la première fois depuis 10 ans, Apple a refusé l’invitation. Gruber confirmera par la suite, lors de sa participation au podcast Channels with Peter Kafka, que ce refus était lié à son article critique sur Apple Intelligence.

Cette année, pas de dirigeant d'Apple mais Nilay Patel de The Verge et Joanna Stern du Wall Street Journal.
Cette année, pas de dirigeant d'Apple mais Nilay Patel de The Verge et Joanna Stern du Wall Street Journal.


Changement de communication pour la WWDC 25



Au lieu de participer au podcast de Gruber, Apple a préféré laisser ses dirigeants répondre à des interviews toutes plus tièdes et inintéressantes les unes que les autres. Comme celle de Tom’s Guide qui reprend exactement le format du Talk Show, avec les mêmes participants.



D’autres influenceurs, comme Katarina Mogus ou iJustine, ont aussi eu droit à des interviews exclusives sans intérêt.

Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?


À la différence près que ces interviews ne se font pas en direct, pas en public et sur le terrain d’Apple : à l’Apple Park. Cela change totalement la dynamique : c’est Apple qui maitrise tout. Les interviewers permettent alors à Apple de dérouler son discours bien rôdé sans aborder ce qui fâche, comme les manquements d’Apple Intelligence ou les limites du redesign Liquid Glass.

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La seule interview qui vaut le détour est celle de Joanna Stern, qui pour le coup, n’hésite pas à parler de ce qui fâche et sans prendre de gants. Il faut dire qu'il est plus facile de bouder un blogger que le Wall Street Journal. C'est ce qu'on appelle le courage.



Ce qui ne me surprend pas, Stern est une excellente journaliste, qui avait écrit le meilleur article sur les claviers papillons.

Une punition contre-productive



C’est d’autant plus surprenant que Gruber ne mettait jamais les dirigeants d’Apple dans l’embarras avec des questions difficiles. Et que, globalement, c’est un bon petit soldat. Il a par exemple filmé ses derniers Talk Show avec des caméras 3D pour être compatible avec l'Apple Vision Pro.

Le Talk Show est une des rares émissions filmée en 3D pour l'Apple Vision Pro.
Le Talk Show est une des rares émissions filmée en 3D pour l'Apple Vision Pro.


Cependant, il arrivait toujours à poser des questions pertinentes sans se mettre les dirigeants à dos. Gruber fait parti de ses personnalités qui sont les portes-parole de la communauté, et aussi des développeurs.

Un mouvement de fond de mécontentement



John Gruber n’est pas le seul à critiquer Apple récemment. John Siracusa, qui s’est fait connaître avec ses tests en profondeur des systèmes Mac OS X, lui aussi s’est fendu d’articles remettant en cause la direction d’Apple.

Il serait trop long de lister tous ceux qui critiquent le comportement récent d’Apple. Ce qui est intéressant de souligner, c’est que maintenant ce sont des personnes généralement très bienveillantes qui commencent à sortir du bois.

Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?


La réponse d’Apple à ces critiques correspond au comportement de la société que l’on voit depuis des années et qui s’accélère récemment. Par exemple, Apple ne fournit plus de produits à Mac4Ever (et à d'autres confrères spécialisés) pour que l’on puisse les tester afin de faire un article le jour de la sortie, comme c’était le cas avant (et comme c’est le cas avec beaucoup d’autres marques). Apple a dernièrement aussi mis un terme à ce programme d’affiliation qui permettait de faire vivre beaucoup de publications dédiée totalement ou en partie à la marque.

Il est contre-productif de se mettre à dos ceux qui sont vos alliés. Apple a suffisamment à faire avec de vrais ennemis comme Google, Microsoft, Meta et j'en passe sans en plus s'en créer d'autres. On observe la même stratégie avec les développeurs qui sont mal traités et le font savoir. À court terme, Apple fait des économies et contrôle mieux le marketing et le message qu’elle veut faire passer. Sur le long terme, c’est désastreux : si les publications qui sont fans d’Apple meurent ou changent leur ligne éditoriale pour aborder d’autres marques et sujets, il ne restera plus personne pour être son relai.

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De plus, les personnes comme Gruber et Siracusa sont intéressantes à écouter. Elles ont souvent des remarques, et critiques, qui vont dans le bon sens. Si Apple les écoutait plus, elle ferait de meilleurs produits. Car au final, ils sont des passionnés de longue date qui aiment Apple et qui veulent voir l’entreprise prospérer. Des personnes comme MKBHD et iJustine n’ont pas de lien affectif avec Apple. Si la société faiblit, ils passeront à autre chose sans état d’âme, et le font déjà en parti.

Une paranoïa de mauvais augure



Apple se comporte avec le même état d’esprit que dans la fin des années 90. À l’époque où Steve Jobs prend les rênes de la société, Apple est au bord de la faillite. Le co-fondateur rallie autour de lui ses plus loyaux lieutenants avec une même idée : Apple risque de mourir, tout le monde le souhaite et nous allons nous battre pour leur montrer que notre vision est la bonne.

Et à l’époque, il a raison. Toute l’industrie considère qu’Apple est une cause perdue. Michael Dell, patron de Dell, appelle à fermer l’entreprise pour rembourser ses créanciers. Le magazine Wired demande à ses lecteurs de prier pour sauver Apple et Microsoft a finalement gagné la guerre des systèmes d’exploitation.

Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?


L’Apple d’aujourd’hui s’est construit autour de cet état d’esprit : nous contre le monde. Mais le monde a changé, les marchés ne sont pas les mêmes et les réglementations non plus. Apple est aujourd’hui en guerre non seulement contre sa presse historique, mais aussi contre ses propres développeurs et contre les réglementations nationales et supranationales. Apple est poursuivie pour abus de position dominante aux USA, la société est en délicatesse avec l’UE. Et cela ne s’arrange pas : difficile de trouver un endroit sur le globe où Apple n’est pas pointé du doigt pour son comportement. Même les australiens s’y mettent.

Apple préfère les influenceurs aux journalistes spécialisés : une stratégie risquée ?


Au final, Apple voit des ennemis partout, même auprès de ses plus proches alliés comme le presse spécialisée et les développeurs. Cupertino oublie que la presse spécialisée n’est qu’un relai auprès de ses clients : en la maltraitant, elle maltraite aussi ses clients.

Si Apple n’écoute pas ses relais, ses produits vont commencer à en pâtir, comme ça commence à être le cas aujourd’hui avec des IA en retard et des fonctionnalités pour l’appareil photo de l’iPhone manquantes.

En faisant la sourde oreille, Apple va livrer une jolie nouvelle interface, mais qui sera inutilisable car souvent illisible. Et Siri restera inutilisable pendant que ChatGPT fait des merveilles. Et l’accessibilité continuera de souffrir en silence. Et au final, les plateformes vont lentement, mais sûrement, être dépassées par la concurrence. Et quand Apple se rendra compte qu’il fallait écouter ses utilisateurs, il sera trop tard.