Conduire sans les mains pendant des centaines de kilomètres est-il devenu légal en Europe ? Avec le Blue Cruise, Ford est le premier constructeur à proposer la fonctionnalité sur un modèle de véhicule déjà commercialisé.
Nous avons pu prendre le volant -ou plutôt, éviter de le prendre- sur un trajet aller/retour de plus de 1500Km entre Paris et Nîmes, et vous allez voir que l’expérience était pour le moins agréable… bien qu’encore imparfaite
Le paradoxe de la conduite autonome
L’idée de ne plus conduire sur autoroute n’est pas déplaisante : entre le trafic, les limitations de vitesse et les radars, déléguer le trajet à un robot plairait sans doute à beaucoup de monde.
Pourtant, la conduite semi-autonome moderne va à l’opposé de cette idée : l’ordinateur contrôle bien plus sévèrement votre attention lorsqu’elle est enclenchée que l’inverse ! Le paroxysme se trouve d’ailleurs chez Tesla, qui a instauré une sorte d’Autopilot à points, qui va vous punir s’il estime que vous n’êtes pas assez attentif, voire vous priver totalement de la fonctionnalité -un comble, car c’est finalement une sécurité en moins.
Sur les véhicules qui n’ont pas encore de volant capacitif, l’expérience peut même virer au cauchemar, car si vous oubliez de forcer régulièrement sur la direction (même en ligne droite !), l’ordinateur va vous réprimander à tort et vous déconnecter. Certains poussent le vice jusqu’à traquer votre regard, si bien qu’il devient souvent compliqué de régler le GPS alors même que cette fameuse conduite semi-autonome devrait faciliter l’inattention ponctuelle.
Heureusement, la législation européenne, très stricte en la matière, s’assouplit progressivement, sans vraiment nous lâcher la bride. Avec le Blue Cruise, Ford permet enfin à ses clients de profiter de cette petite liberté de ne plus avoir à toucher le volant… mas pas forcément du reste.
C’est quoi le Blue Cruise ?
Le Blue Cruise est le nom donné par Ford à la conduite sans les mains. Oui, vous avez bien lu, les véhicules ont été homologués pour se passer de cette contrainte encore très forte chez les autres constructeurs.
La certification prend des mois, ce qui explique la lenteur de la mise en application et le peu de concurrence pour l’instant. Les autorités doivent en effet s’assurer que le système est fiable et parfaitement sécurisé. Ford a pu obtenir son précieux sésame dès juillet 2024, mais il a fallu du temps avant que la mise à jour soit déployée.
Le Blue Cruise s’active comme la conduite semi-autonome, qu’il remplace en fait directement. Si vous êtes sur une « Blue-Road », Ford va automatiquement enclencher la fonction sans manipulation particulière. Vous allez ainsi pouvoir conduire sans les mains, à condition de respecter quelques règles.
Quelles routes sont éligibles ?
Le Blue Cruise s’active uniquement sur les Blue Roads, qui couvrent en réalité une grande partie de l’Europe, sauf la Suisse.
En France, le système se déclenche uniquement sur autoroute, 95% des portions sont compatibles, soit la quasi totalité du réseau. Oui, vous avez bien lu, les portions sont étonnamment nombreuses !
En revanche, les 2x2 voie en dehors du réseau autoroutier ne sont pas éligibles. Navré pour les bretons et autres secteurs uniquement en voie rapide, mais c’est comme ça.
Autre limitations, le Blue Cruise se désactivera dans les tunnels, sur les ponts et aussi en cas de virage très prononcé, même sur autoroute. Ce n’est pas anodin, car sur certaines portions, l’enchaînement des tunnels et des ponts oblige à être particulièrement attentif, notamment sur des secteurs comme Nantua ou toute la région autour de Nice/Monaco, très torturés.
Manger en Blue Cruise ?
Ne plus tenir le volant devrait normalement permettre de se détendre un peu et de pouvoir utiliser ses mains autrement pendant la conduite -on évitera les suggestions désobligeantes en commentaire, merci.
Cependant, ne comptez pas utiliser votre iPhone très longtemps, car une petite caméra traque votre regard en permanence. Tout usage du téléphone, d’un livre ou de toute activité qui nécessite une attention prolongée sera rapidement sanctionnée.
Malheureusement, l’utilisation de l’écran central et du GPS n’est pas sur liste blanche : l’action sera sanctionnée comme le reste ! Voilà qui est bien décevant, car le système a tendance à vous rappeler à l’ordre très rapidement. Pour entrer une adresse, il est parfois plus simple de… désactiver le Blue Cruise. Aberrant n’est-ce pas ?
Avec des lunettes de soleil polarisées, le système fonctionne toujours. Même chose de nuit, les caméras étant infra-rouges, capables d’analyser le regard en toute circonstance. Je ne suis pas certain que le suivi se fasse au niveau des yeux, mais plutôt au niveau de la position de la tête, car si vous plissez le regard, tout en gardant le buste tourné vers la route, le système semble vous laisser tranquille (je n’ai pas essayé de fermer les yeux...).
Autre usage pratique au volant, celui de pouvoir boire et éventuellement grignoter un peu. Bonne nouvelle, ce sera possible… à condition de regarder la route ! Pas toujours facile avec une bouteille devant les yeux, mais ça marche !
En fait, du moment que votre regard est tourné vers l’avant et que vous ne masquez pas la caméra située au niveau du volant, le reste importe peu. Cela reste donc de la conduite autonome de niveau 2, où le conducteur est censé pouvoir reprendre les commandes à tout instant.
Doubler, pour quoi faire ?
Après plusieurs centaines de kilomètres à utiliser le système, il m’a manqué un fonction clef pourtant déjà présente aux USA : la possibilité de doubler automatiquement.
En pratique, le Blue Cruise est si confortable qu’on a même tendance à ne pas vouloir se rabattre trop vite. Rouler au milieu ou sur la voie de gauche étant évidemment proscrit, cela oblige à reprendre souvent les commandes en cas de fort trafic.
Ford nous a confirmé que le changent de voie automatique était légal en Europe et allait arriver prochainement. Car oui, il demande encore une certification, que le constructeur ne voulait pas attendre. L’Europe a beaucoup d’atouts, mais la régulation devient difficile à gérer dans un marché où la technologie évolue plus vite que la capacité du régulateur à arbitrer dans des délais raisonnables.
Enfin, la voiture ne s’arrêtera pas aux péages et ne prendra aucune initiative spécifique, notamment si vous devez prendre une sortie -alors que certains constructeurs allemands le font déjà. Seul un arrêt d’urgence sera pris en charge, la voiture va progressivement freiner et s’arrêter si le conducteur ne répond plus.
C’est payant !
A l’image du FSD de Tesla, Ford a choisi de rendre le Blue Cruise payant, ce qui risque de dissuader bon nombre de clients.
Après 90 jours gratuits, le coût mensuel est élevé (24,99€/mois) ou via un paiement annuel de 280€, soit une réduction assez modeste sur 12 mois. On aurait pu imaginer 199€ par exemple…
Il sera aussi possible d’acheter la fonctionnalité de façon définitive dès cet été pour un tarif encore inconnu mais certainement autour de 2000 ou 3000€, comme chez Elon Musk.
Pour le moment, on peut donc imaginer ne l’activer que pendant l’été ou les très longs trajets ponctuels, mais pas au delà.
Bilan : vivement la suite !
Après plus de 1500Km avec le Blue Cruise, nul doute que la fonctionnalité compense ici à merveille l’absence de volant capacitif.
De façon plus générale, on prend vite l’habitude de ne plus avoir la main sur le manche, même si l’intérêt est encore limité sans changement de file et avec une attention constante sur la route.
A comparer avec les systèmes de BMW, Volkswagen ou de Mercedes, qui gèrent le changement de voie et qui intègrent le volant capacitif, la valeur ajoutée du Blue Cruise se limite à pouvoir utiliser ses deux mains ponctuellement (pour manger, boire ou autre), ce qui reste assez modeste, surtout vu le tarif.
Le Blue Cruise donne aussi le sentiment de n’avoir pris que l’apéro de la véritable conduite autonome sur autoroute : on sent bien que les voitures modernes ont tout à fait la capacité de gérer la conduite à 100% et que la législation traîne des pieds à l’autoriser.
Ne plus conduire du tout sur autoroute semblait à portée de main il y a quelques années encore, mais la législation semble nous rappeler que la transition se fera par paliers successifs, et prendra sûrement encore des années, voire peut-être une décennie complète.