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L’innovation n’existe plus, elle s’achète

Par Nicolas Sabatier - Publié le

L’innovation dans le domaine de la technologie a toujours été provoquée par des petites entreprises prêtes à remettre en cause l’ordre établi. Or, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Pourquoi aucune start-up ne réussit aujourd’hui à concurrencer les GAFAM ?

L’innovation n’existe plus, elle s’achète


Apple vient d’annoncer qu’ils pourraient faire un investissement dans l’IA. C’est logique quand on voit le retard accumulé dans le domaine. Cependant, c’est le genre d’annonce qui me chagrine. Il y a encore quelques années, les start-up avaient la possibilité de renverser les géants de la technologie, uniquement grâce à leur ingéniosité et leur rapidité d’exécution.

Les petits qui bousculent les grands



La Silicon Valley s’est construite sur le mythe d’ingénieurs travaillant dans des garages sur des technologies capables de rivaliser avec les plus grandes entreprises. On peut penser évidemment à Hewlett-Packard, dont les fondateurs ont littéralement travaillé dans un garage, ou encore à Steve Jobs et Steve Wozniak aux débuts de l’aventure Apple. Didier nous avait d’ailleurs fait une vidéo intéressante pour nous montrer ces lieux légendaires.



Je pense aussi inévitablement aux Traitorous Eight (les huit traitres), qui sont partis de Fairchild Semiconductor pour créer Intel et écraser par la suite tous ses concurrents.

Les huit traitres qui ont quitté Fairchild Semiconductor pour créer Intel
Les huit traitres qui ont quitté Fairchild Semiconductor pour créer Intel


Mais ces histoires sont très communes. Apple, qui au départ n’est qu’un ramassis de hippies chevelus malodorants en short, a réussi à créer l’industrie des ordinateurs personnels, faisant trembler des géants tels qu’IBM ou encore DEC. Et comment ne pas aborder Microsoft, elle aussi petite start-up à la fin des années 70, qui arrive par un tour de passe-passe à vampiriser l’IBM-PC grâce à son MS-DOS puis ensuite Windows.

Bill Gates jeune et sexy.
Bill Gates jeune et sexy.


Lors de la révolution du web, cela continue. Je me rappelle comme si c’était hier d’avoir lu un article en 1998 disant que la guerre des moteurs de recherche était terminée. Avec l’arrivée de Microsoft avec son moteur de recherche MSN et l’augmentation des investissements colossaux pour indexer un web toujours plus grand, l’article argumentait qu’une start-up ne pouvait plus entrer dans la course, cela coutant trop cher. Comment une toute petite entreprise pouvait concurrencer les géants qu’étaient Microsoft, AltaVista, Yahoo! ou encore Lycos ? Un an plus tard, Google est créé et redistribue complètement les cartes.

Des mastodontes actuels se sont créés à cette époque. Nous pouvons citer Amazon, Ebay, AOL en plus de Google. Lors de l’avènement du web social, qu’on a appelé pendant un temps le Web 2.0, nous avons vu passer des dizaines de start-up. Friendster, Myspace, Copain d’avant et Skyblog en France et j’en passe.

Des milliards pour étouffer la concurrence



Tous ces réseaux sociaux se sont fait ringardiser par Facebook. Et croyez-moi, Mark Zuckerberg se rappelle très bien cette époque et il n’a qu’une peur : que sa société soit ringardisée à son tour par un concurrent. Et c’est irrémédiable, cela arrivera (et c'est déjà arrivé, Facebook étant principalement le réseau social des vieux croutons). Sauf si le concurrent en question est racheté.

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C’est ce que Zuckerberg a fait au fur et à mesure des années. Instagram aurait pu détrôner Facebook. D’ailleurs, Zuckerberg avait des données en interne lui montrant la montée vertigineuse de la plateforme qui pouvait mettre à mal son réseau social. D’autant plus qu’Instagram était en train de développer des fonctionnalités clés telles que la vidéo et un système de messages privés. Résultat : Instagram a été racheté pour 1 milliard de dollars.

Deux ans plus tard, c’est la même chose qui se répète. WhatsApp devient une messagerie incontournable et fait de l’ombre aux messages intégrés à Facebook. Zuckerberg craint que WhatsApp puisse développer des fonctionnalités à même de concurrencer Facebook et décide de racheter WhatsApp pour 16 milliards de dollars.

Google suit le même protocole. Ayant créé une plateforme vidéo appelée Google Vidéo, la société de Mountain View n’arrive pas à concurrencer YouTube. Au lieu de faire des investissements massifs et d’innover dans le domaine, Google décide tout simplement d’acheter YouTube en 2006 pour plus d’1,5 milliard de dollars.

L’innovation n’existe plus, elle s’achète


Être rachetée est un business plan



Beaucoup de start-up aujourd’hui se créent, non pas pour devenir les grands de demain, mais pour se faire remarquer et ainsi se faire racheter par un GAFAM. Ainsi, il n’y a pas la volonté d’être rentable à long terme, mais juste d’avoir une très forte croissance, financée par des investisseurs, dans l’espoir d’être achetée au prix fort, en essayant de faire monter les enchères.

Ainsi, si Google s’était créée aujourd’hui, elle aurait été sans doute rachetée par Microsoft ou Yahoo! (Yahoo! a d’ailleurs refuser de les acheter…). Amazon aurait peut-être été rachetée par Barnes & Nobles, et Facebook par AOL.

Et cela continue



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OpenAI aurait pu remettre en cause Google, mais la start-up est déjà sous la coupe de Microsoft. Redmond possède un peu moins de la moitié de l’entreprise pour un investissement de 14 milliards de dollars. De plus, les IA d’OpenAI tournent sur les serveurs de Microsoft Azure, l’investissement d’ailleurs étant principalement un paiement des heures d’exécution sur ces serveurs.

Ses liens sont la norme pour pratiquement toutes les start-up intéressantes dans l’IA. Au lieu de pouvoir faire vaciller les géants de la technologie comme ont pu le faire Microsoft, Apple, Google et autres en leur temps, ces entreprises sont liées dès le départ à leurs ainées.

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Anthropic, autre société intéressante dans le domaine de l’IA avec son produit Claude, a un investissement de 4 milliards de dollars de la part d’Amazon et utilise Google Cloud comme fournisseur principal. Perplexity compte parmi ses investisseurs Jeff Bezos, Nvidia ou encore le patron de l’IA de Facebook, le français Yann Lecun.

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Il est ainsi difficile aujourd’hui d’imaginer une start-up venir bousculer les GAFAM, surtout qu’elles n’ont pas l’intention de se laisser faire.

Une consolidation problématique



L’IA n’arrange rien. Alors que cela pourrait être une technologie qui ferait émerger une toute nouvelle génération capable de détrôner les géants de la tech, il n’en est rien. Premièrement parce que ceux-ci sont passés maître dans l’art d'identifier les start-up prometteuses pour les acquérir. Et deuxièmement parce que l’IA est une technologie qui demande beaucoup de ressources pour entrainer les modèles et les faire tourner.

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©Mac4Ever 2025


Les géants de la tech sont prêts à tout pour garder leur position dominante. Leur trésor de guerre, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards de dollars, le leur permet. Par exemple, Meta propose des bonus à la signature à des chercheurs en IA, souvent issus d’OpenAI, de l’ordre de plusieurs de dizaines de millions de dollars.

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©Mac4Ever 2025


Scale AI, autre start-up dans le domaine de l’IA, a été rachetée par Meta pour plus de 14 milliards de dollars et son patron dirige maintenant un des laboratoires internes de Meta sur l’IA. Et voici une entreprise innovante, qui fournissait des données à OpenAI, Nvidia et d’autres, avalée par Meta.

Et parfois, c’est encore moins clair que cela. Google s’est offert Windsurf sans même acheter l’entreprise. Google a bien déboursé plus de deux milliards de dollars pour s’offrir les talents de Windsurf, mais juste en débauchant le CEO, le co-fondateur et la plupart de ses équipes, sans acheter la start-up. L’accord porte aussi sur l’utilisation des technologies de Windsurf. La start-up, vidée de ses talents, a été rachetée par Cognition AI pour un montant non communiqué.

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©Mac4Ever 2025


Le mode opératoire est donc souvent le même. Les gros de la tech achètent des start-up qui ont le potentiel de devenir des concurrents. Ces achats sont aussi souvent purement préventifs, afin d’empêcher des concurrents d’acheter ces mêmes start-up. Et en bonus, ils récupèrent les talents : on parle alors d’acqui-hire, un achat dans le but d’embaucher les talents.

Le mythe de la Silicon Valley s’est construit autour des start-up dans un garage, avec des technologies innovantes pouvant remettre en cause des entreprises, voire des industries entières. Ce n’est aujourd’hui plus du tout le cas. Avec l’énorme concentration de l’argent menant à l’émergence de multimilliardaires, l’innovation s’achète pour être au final étouffée. Pire, la richesse indécente de ces barons de la tech leur permet une influence politique hors du commun, faisant passer des réglementations en leur faveur.

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©Mac4Ever 2025


Ainsi, toute une génération de talents est achetée sans avoir la possibilité de remettre en cause l’ordre établi. Seules les entreprises chinoises, elles-mêmes protégées et aidées par la dictature communiste, pourront à terme faire vaciller cette oligarchie. Et nous, pauvres européens, pouvons regarder ce futur combat de titans de loin…