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Apple doit avoir le courage de tuer Siri

Par Nicolas Sabatier - Publié le

Siri n’arrête pas de décevoir, et ce depuis longtemps. L’assistant d’Apple semble même régresser d’années en années. Et ce n’est pas la récente annonce du retard de la nouvelle version qui va nous rassurer. Quelle solution pour Cupertino ?

Apple doit avoir le courage de tuer Siri


La sortie de la nouvelle version de Siri, dont certaines fonctions étaient prévues pour iOS 18.4 en avril, est une nouvelle fois repoussée. Alors qu’on espérait pouvoir la tester pour la WWDC en juin 2025, il semble que ce ne sera prêt que pour iOS 20, soit à l’automne 2026.

Apple doit avoir le courage de tuer Siri


Rappelons que cette nouvelle version devait intégrer un modèle de langage étendu (LLM), similaire à ChatGPT, tout en fusionnant avec le Siri actuel pour les tâches basiques. Cette transformation permettrait enfin d’avoir une IA conversationnelle native avec exécution en local.

Ajoutons à cela que des rumeurs insistantes rapportent que l’adoption d’Apple Intelligence ne semble pas au niveau des espérances de la direction. Le nombre limité de pays dans lesquels Apple Intelligence est disponible, ainsi que les appareils compatibles peu nombreux, peut expliquer cela, mais uniquement en partie. De nombreuses fonctionnalités restent manquantes et en retrait par rapport à la compétition.

Apple doit avoir le courage de tuer Siri


Il faudra donc attendre plus d’un an avant d’avoir un Siri revu et corrigé. Certains même parlent de 2027. Et rien n’indique qu’il sera au niveau de la concurrence. Appuyons sur le fait qu’une annonce d’un retard est quelque chose d’extrêmement rare pour Cupertino. Dans la très grande majorité des cas, Apple annonce des produits (ou services) quand ils sont prêts, à quelques semaines de leurs sorties.

Pour cette nouvelle version de Siri, il semble que l’annonce a précédé le produit en lui-même et que les ingénieurs prennent plus de temps que prévu. Emporté par l’engouement autour des IA génératives, Apple a sans doute annoncé cette nouvelle version bien trop tôt.

Un Siri qui dépérit



Revenons aux origines de l’assistant d’Apple. Siri était au départ une application tierce avant qu’elle ne soit achetée par Apple. Elle se basait, entre autres, sur les travaux du français Luc Julia. D’ailleurs, si vous avez le temps, je vous conseille de visionner les 6 épisodes de Silicon Fucking Valley, produits par Arte, disponibles gratuitement sur Youtube où il nous fait une visite guidée de la Silicon Valley (tout en trollant tout le monde, un plaisir).



Une fois acheté, Siri a été intégré à iOS pour être disponible sur l’iPhone 4S, dont le S voulait aussi dire Siri. Après une démonstration impressionnante, les essais ont rapidement montré les limites de l’assistant tout en louant sa qualité, en espérant que les versions suivantes amélioreront l’assistant.

Malheureusement pour ceux qui l’utilisent régulièrement, il semble que Siri est de moins en moins bon avec le temps. De la même manière que le clavier de l’iPhone paraît plus mauvais qu’il y a quelques années, il en est de même avec Siri qui n’arrive plus à répondre à certaines questions auxquelles il répondait sans souci précédemment. Il arrive aussi qu’il donne des réponses différentes, aux mêmes questions, posées dans la même journée.

Malgré une toute nouvelle icône et animation, Siri n'a rien de nouveau.
Malgré une toute nouvelle icône et animation, Siri n'a rien de nouveau.


J’avoue que j’ai depuis longtemps abandonné l’idée d’intégrer Siri dans mon utilisation quotidienne. Je lui pose des questions de temps en temps pour voir si cela fonctionne, et je suis la plupart du temps assez déçu du résultat, notamment quand je le compare à ChatGPT et aux autres IA génératives.

Même l’outil de dictée, qui est aujourd’hui une technologie maitrisée par presque tout le monde, est souvent mis en difficulté. Certains sont même poussés à l’abandonner au profit de la dictée fournie par d’autres, comme celle de Google, beaucoup plus performante.

Didier qui utilise la dictée Siri, à ses dépens.
Didier qui utilise la dictée Siri, à ses dépens.


Le syndrome Copland



Cela rappelle un peu ce qui s’est passé pour le système d’exploitation du Mac au milieu des années 90. Mais avant de parler de Copland, il faut remonter en 1987 et la naissance du projet Pink. Alors que Windows commence à faire concurrence au Mac, les ingénieurs d’Apple se mettent à penser à ce que doit être le système d’exploitation du futur. Les spécifications sont notées sur des pages roses : c’est la naissance du projet Pink.

Il devra pouvoir gérer nativement les alphabets autres que celui de l’anglais, comme les idéogrammes des langues asiatiques. Autre élément important qui sera déterminant par la suite : Pink devra gérer le multitâche préemptif.

Rare image du système Taligent.
Rare image du système Taligent.


Après moult péripéties, le projet Pink prend du retard et se transforme en Taligent, en partenariat avec IBM. Le but est d’utiliser la puissance financière d’IBM et les ingénieurs d’Apple pour créer un super système d’exploitation objet de dernière génération. Malheureusement, Taligent fait faillite et Apple se retrouve le bec dans l’eau : tous ses meilleurs éléments sont partis dans Taligent pour développer leur système d’exploitation. Ils n’ont ni les ressources en interne, ni le temps de développer le système d’exploitation dont ils ont tant besoin.

C’est le branle-bas de combat chez Apple, d’autant plus que la concurrence a continué de travailler d’arrache-pied. Windows 3.1 est très populaire et a rattrapé son retard sur les systèmes Mac. Apple a pour objectif de sortir un tout nouveau système juste avant la sortie de Windows 95.

Boite de la beta de Copland.
Boite de la beta de Copland.


Le projet Copland (du nom du compositeur américain) est lancé. Il doit avoir une interface totalement modulable, un système d’agents inspiré par le Newton ainsi qu’un moteur de base de données pour gérer son système de fichiers. Copland devra être suivi de Gershwin qui ajoutera le multitâche préemptif et la protection de mémoire.

Rien à voir.
Rien à voir.


Le multitâche préemptif est très important, le principe est le suivant : c’est le système d’exploitation qui gère le temps d’exécution dans le processeur pour chaque programme. Or, le System 7 utilise le multitâche coopératif : chaque programme indique combien de temps le processeur a besoin avant de passer la main à un autre programme. Le problème est que si un programme plante, c’est tout le système qui s’arrête. Le multitâche préemptif a l’avantage de rendre le système beaucoup plus stable. Windows 95 utilise le multitâche préemptif et l’allocation de mémoire dynamique. Quand le Mac assigne une quantité de mémoire au programme à son lancement, Windows 95 quant à lui peut modifier la quantité de mémoire allouée dynamiquement et changer les priorités entre les programmes. Tout cela permet une plus grande rapidité et s’avère plus agréable à utiliser : le Mac est en retard sur Windows.

Annoncé en 1994, Copland est dès le début en retard. Des fonctionnalités sont constamment ajoutées dans le but de concurrencer au mieux Windows 95, repoussant d’autant la date hypothétique de sortie.

Apple doit avoir le courage de tuer Siri


Le nouveau chef de recherche et développement se rend compte que le projet est une catastrophe. Par exemple, la protection de la mémoire et la connexion à Internet ne sont pas encore gérées. La direction apprend alors qu’elle n’aura jamais son système de dernière génération et décide d’annuler Copland et de trouver un partenaire technologique.

Un achat extérieur comme solution



Toutes les options sont envisagées : certains proposent d’utiliser le système Solaris de SUN et d’autres même pensent à Windows.

Oui, pendant un moment, il a été question que les Mac utilisent le système d’exploitation Windows, la version NT 4 pour être exacte, qui a l’avantage de déjà fonctionner sur les processeurs du Mac : le PowerPC. Bill Gates était d’ailleurs très excité à l’idée de fournir à Apple son système d’exploitation professionnel. Il n’a pas arrêté de téléphoner à Gil Amelio, le CEO d’Apple à l’époque, pour le convaincre. Il va lui envoyer des mémos pour démontrer à quel point c’était une bonne idée. Gates était prêt à mobiliser une centaine d’ingénieurs de Microsoft afin de porter QuickTime et QuickDraw sur Windows et de le modifier afin de le rendre plus Mac-like. Évidemment, Gates a une idée derrière la tête : en contrepartie, il veut un accord sur l’utilisation de l’interface graphique qui est toujours en procès.

Le Mac aurait pu avoir comme seul système un Windows NT modifié.
Le Mac aurait pu avoir comme seul système un Windows NT modifié.


Malgré l’insistance de l’homme le plus riche du monde, la solution Windows va vite être abandonnée. C’est alors qu’un ancien d’Apple rentre en scène : Jean-Louis Gassée. Ancien patron de la division Mac, il a pris la place de Steve Jobs quand celui-ci est parti d’Apple. Gassée a été remercié quelques années plus tard. Il a alors créé la société Be qui fait les beaux titres de la presse spécialisée. En effet, le système est impressionnant, notamment dans tout ce qui touche le multimédia. De plus, BeOS a tout pour plaire : multithreading, protection de la mémoire, orienté objet et multitâche préemptif. Bref, tout ce que recherche Apple et promettait Copland.

BeOS semblait le système idéal pour le Mac.
BeOS semblait le système idéal pour le Mac.


Apple approche Gassée pour racheter Be. Le rapprochement est d’autant plus naturel que Gassée avait déjà essayé de vendre Be à Apple sous la direction de Spindler quelques années auparavant. Certains chez Apple adorent Gassée, d’autres beaucoup moins. Il se trouve que l’un d’entre eux contacte une personne au sein de NeXT pour les prévenir de l’achat imminent.

Steve Jobs décide alors d’entrer dans la danse. D’abord parce que NeXT est dans une situation financière précaire, mais aussi et peut-être surtout parce que Jobs n’a toujours digéré la trahison de Gassée et aimerait bien l’emmerder jusqu’au bout.

Le NeXT Cube de NeXT.
Le NeXT Cube de NeXT.


Je vous passe les détails et, au final, c’est NeXT qui va être racheté et son système d’exploitation sera la base de Mac OS X qui sortira trois ans plus tard.

Siri : le Copland de Tim Cook ?



Et s’il se passait la même chose pour Siri ? Si Apple est dans l’impossibilité, depuis des années, de l’améliorer, est-ce que la solution ne serait pas d’acheter une autre société qui a un assistant qui fonctionne ?

Cela fait presque 15 ans que Siri est sorti et l’assistant semble être plus nul que jamais. Avec une nouvelle version conversationnelle qui risque d’arriver cinq ans après la sortie de ChatGPT, on peut se poser la question sur la crédibilité d’Apple sur le sujet. D’autant plus que je suis prêt à parier que cette nouvelle version décevra comme les précédentes, et qu’elle sera moins évoluée que les dernières versions de ChatGPT ou Claude.

Apple doit avoir le courage de tuer Siri


Comme Copland, Siri est constamment en retard sur la concurrence. Comme Copland, Siri n’arrive pas à ajouter des fonctionnalités indispensables pour la pérennité du système. Comme Copland, il semble qu’Apple n’a pas en interne les compétences pour mener à bien la transformation de Siri.
Comme Copland, est-ce que le salut de Siri ne viendrait-il pas par l’achat d’une société ?

Qui acheter pour améliorer Siri ?



J’ai pour ma part perdu tout espoir pour un Siri utilisable au quotidien. Cela fait plus de 10 ans qu’il me déçoit et en plus Il me donne l’impression de régresser. Tout ce qui est proche de l’IA chez Apple semble suivre la même tendance. Par exemple, la recherche dans les réglages ne fonctionne pas correctement : même en utilisant les termes exacts, je n’obtiens parfois aucun résultat. Autre illustration de cette régression : le clavier de l’iPhone, dont la précision ne cesse de se détériorer. Il devient difficile d’écrire sans fautes de frappe ou sans que des suggestions inadaptées soient sélectionnées.

La concurrence continue de faire évoluer ses IA, comme Amazon avec Alexa, ChatGPT, Anthropic avec Claude ou encore Google avec Gemini.
La concurrence continue de faire évoluer ses IA, comme Amazon avec Alexa, ChatGPT, Anthropic avec Claude ou encore Google avec Gemini.


J’espère que la direction d’Apple partage mon sentiment. Je crois qu'il est improbable qu’Apple puisse arriver à développer une nouvelle version de Siri de qualité quand ils ont échoué à le faire depuis presque 15 ans. Ainsi, comme pour Copland, Apple n’ayant pas les compétences en interne, il faudra sans doute passer par l’achat d’une société pour avoir de nouvelles technologies et de nouveaux talents.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain. C’est pour cela qu’il est important pour Apple de pouvoir intégrer les dernières IA pour ses clients, comme c’est déjà le cas aujourd’hui avec ChatGPT et plus tard Gemini, en attendant d’avoir une solution issue d’un achat.

Amazon a déjà investi dans Anthropic.
Amazon a déjà investi dans Anthropic.


Le problème est que nous sommes en pleine bulle spéculative autour de l’IA. Toutes les sociétés ont des évaluations surdimensionnées par rapport à la réalité. Par exemple, Apple pourrait racheter Anthropic qui produit l’excellente IA Claude. Cependant, elle est évaluée à plus de 60 milliards de dollars.

Une autre solution serait Perplexity, qui est beaucoup plus abordable avec une évaluation sous les 10 milliards. Et pourquoi pas le petit français Mistral, lui aussi évalué sous la barre des 10 milliards ?

Dans tous les cas, quelle que soit la solution, Apple doit avoir du courage et prendre une décision rapidement pour sauver le soldat Siri, avant qu’il ne soit trop tard.