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Drogue : généraliser la saisie des téléphones des consommateurs est-elle justifiée ?

Par Laurence - Publié le

Le ministre de la Justice Gérald Darmanin vient d'annoncer une nouvelle mesure dans la lutte anti-drogue avec une version plutôt tech. Ce jeudi 24 avril, le garde des Sceaux a confirmé sur franceinfo la généralisation de l’expérimentation de la confiscation des téléphones portables des consommateurs de drogues, initiée récemment à Bayonne.

Drogue : généraliser la saisie des téléphones des consommateurs est-elle justifiée ?


Une réponse directe au trafic “Ubershit”



Le ministre veut frapper fort contre les usages numériques liés aux stupéfiants, en s’attaquant non seulement aux trafiquants, mais aussi aux clients. Dans un contexte de multiplication des livraisons de drogues via messageries cryptées, surnommées Ubershit ou Ubercoke, les autorités cherchent désormais à faire du smartphone un levier dissuasif.

Il n’y a pas d’offre sans demande, avait rappelé le procureur de Bayonne, Jérôme Bourrier, à l’origine de cette approche plus frontale. La saisie d’un téléphone portable peut avoir une portée symbolique forte, en particulier chez les jeunes, a-t-il insisté sur RMC, tout en soulignant que cette pratique est déjà possible avant même une condamnation.

Une circulaire pour tous les procureurs



Gérald Darmanin a confirmé qu'une circulaire sera envoyée dans l’après-midi à l’ensemble des procureurs de la République. Elle visera à étendre la pratique à tout le territoire : en plus des amendes forfaitaires déjà appliquées, les forces de l'ordre pourront se saisir des smartphones.

Je vais donner une instruction, une circulaire cet après-midi à tous les procureurs de la République de France pour que consommateurs et vendeurs de drogue, lorsqu'ils seront attrapés, non seulement paieront l'amende forfaitaire que nous avons mise en place, mais par ailleurs se verront saisir leur téléphone portable.

Drogue : généraliser la saisie des téléphones des consommateurs est-elle justifiée ?
©Mac4Ever 2025


En droit français, la saisie d’un téléphone portable est légalement possible, même avant jugement, dans le cadre d’une enquête pénale. Il s’agit d’une mesure conservatoire autorisée par le Code de procédure pénale, lorsque l’objet (le téléphone) est susceptible d’avoir servi à commettre une infraction ou d’en apporter la preuve.

Pour lui, il s'agit d'une continuité : Nous pouvons saisir des voitures, des motos, de l’argent… Il est logique de saisir aussi les téléphones, qui sont souvent au cœur de la transaction, a expliqué le ministre. Ce changement de doctrine assumé vise autant à perturber les réseaux de distribution qu’à responsabiliser les acheteurs.

Mesure dissuasive… ou atteinte à la vie privée ?



Mais cette nouvelle politique ne fait pas l’unanimité. En effet, les téléphones sont devenus une extension de la vie privée. Aussi, leur saisie systématique soulève des questions juridiques majeures, notamment sur la protection des données personnelles.

Du côté des forces de l’ordre, la mesure est au contraire saluée. Ce n’est pas intrusif, c’est utile, juge Laurent Vitello, délégué Alliance Police dans les Pyrénées-Atlantiques. C’est un outil qui permet de démanteler des petits réseaux locaux, souvent invisibles autrement.

Drogue : généraliser la saisie des téléphones des consommateurs est-elle justifiée ?
©Mac4Ever 2025


Cette question est d'ailleurs posée de manière récurrente à Apple lorsque des iPhone sont récupérés par des forces de l'ordre. On se souvient de plusieurs affaires très médiatiques -comme celle tu tireur de San Bernardino- où le FBI avait demandé à Cupertino de forcer les iPhone ou encore des demandes pour introduire des backdoors dans le système.

Pour la firme californienne, il n'est pas question d'exception dans le principe de protection de la vie privée -même dans le cas d'une enquête pour crime ou délit- et de fragiliser un système au détriment de l'ensemble des utilisateurs. La balance entre les intérêts en présence ne le justifierait pas.

Juridiquement, cette mesure est-elle réelle justifiée ? Le premier point de tension de cette généralisation repose sur la proportionnalité de la mesure : peut-on considérer qu’un simple consommateur occasionnel mérite une saisie de son smartphone, bien souvent outil central de sa vie privée ?

Ensuite, vient la possible atteinte à la vie privée : le smartphone contient des données personnelles extrêmement sensibles (messages, photos, agenda, données de santé…). Cela pose un vrai enjeu au regard de la loi Informatique et Libertés, mais aussi de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée).

Enfin, on peut se demander si la mesure sera dissuasive ou stigmatisante, certains juristes y voient un glissement vers une pénalisation accrue de l’usager, dans un contexte où la politique de santé publique recommande au contraire des mesures de réduction des risques.