Le son de démarrage de Windows 95, écrit par Brian Eno qui n'a jamais touché Windows de sa vie, vient d'entrer dans la bibliothèque du Congrès américain. Plongeons-nous sur les origines de son cousin : le son de démarrage du Mac.
Le tout premier Macintosh est surtout connu pour le design de son interface graphique. Cependant, lors de sa présentation, il s'est lui-même présenté grâce à un logiciel de synthèse vocale : le son était aussi une partie intégrante de la machine.
Le Macintosh se présente tout seul comme un grand à partir de 3 minutes 27.
Apple Computer vs Apple Corps
À la création de la société Apple, les co-fondateurs ont dû se mettre d'accord avec le label des Beatles. En effet, Apple Corps, label des Beatles, possédait les droits sur le nom Apple. La société de Cupertino a trouvé un accord : elle peut prendre son nom à condition de ne pas avoir une activité économique dans le domaine de la musique. Or, dans les années 80, les capacités MIDI de l'Apple II commencent à être intéressantes, à tel point qu'il peut être utilisé comme un instrument connecté à un synthétiseur. Évidemment, Apple Corps voit cela d'un mauvais œil.
Cela ne s'arrange pas avec les différents Mac qui arrivent par la suite avec des capacités audio avancées. Apple Corps porte plainte et a le pouvoir de vérifier que les Mac ne sont pas construits pour la création musicale. Cela peut aller très loin : ils vérifiaient, par exemple, les noms de fonction dans le code source. La commande Note a été renommée Freq pour éviter de rappeler la musique. Cela a eu le don d'énerver passablement les ingénieurs responsables des capacités sonores du Mac, notamment Jim Reekes.
Sosumi
Le tout nouveau System 7 a besoin d'un rafraîchissement de son bip sonore pour démontrer les nouvelles aptitudes audio du système d'exploitation. Jim Reekes s'en occupe mais a le malheur de lui donner un nom qui rappelle un peu trop la musique (nom oublié depuis). Les avocats d'Apple (Computer) lui interdisent alors de l'utiliser, de peur qu'Apple (Corps) leur tombe dessus.
Passablement énervé, Reekes change le nom en let it beep. Évidemment, le nom est refusé, faisant référence à une chanson et un album des Beatles.
Reekes entre alors dans une colère noire. À l'annonce du refus du nouveau nom, il sort excédé de la pièce en lançant : ben si c'est ça, alors poursuis-moi en justice (so sue me, en version originale). En le disant, il trouve que cela sonne bien. Il décide alors de choisir ce nom mais, afin de ne peut essuyer un nouveau refus des avocats, il change la façon de l'écrire. D'où le nouveau nom : Sosumi. Quand les avocats lui demandent ce que cela veut dire, Reekes répond que c'est un mot japonais qui n'a aucun lien avec la musique...
En 2020, avec l'arrivée de Big Sur, Sosumi disparaît et est remplacé par Sonumi (so new me).
Son de démarrage du Mac
Ce qui nous amène au son de démarrage du Mac, appelé chime. Il est aussi le fruit du travail de Jim Reekes. Le chime est tellement connu qu'on le retrouve un peu partout dans la culture populaire. C'est sans doute un des sons les plus reconnus de la planète. Cependant, les premiers Mac n'avaient pas du tout ce son si harmonieux.
En effet, le son de démarrage du premier Mac était une note. À partir du Mac II, c'est un triton, c'est-à-dire trois notes jouées ensemble. Il est malheureusement assez discordant et irritant à entendre. D'autant plus quand, à l'époque, on redémarrait souvent sa machine à cause des multiples plantages.
Bien que personne ne lui demande de le changer, Jim Reekes se met en tête de créer un meilleur son de départ pour le Mac. Au lieu de vous énerver, il veut un son reposant, un peu Zen dans l'esprit.
Il cherche l'inspiration partout, dans la musique classique ainsi que dans la musique populaire. Déjà bien énervé par les Beatles, il décide de leur faire un pied de nez. Ainsi, le son de démarrage du Mac est une inspiration directe du dernier accord de la fameuse chanson des Beatles A Day in a Life. Il reprend l'accord de Do majeur en lui ajoutant un effet stéréo avec un soupçon de réverbération.
La création de ce son est plus complexe qu'il n'y parait. Il doit être le même sur tous les Mac. Or, ils n'ont pas tous les mêmes configurations, notamment au niveau des haut-parleurs. Il fallait que ce son sonne bien, même sur des haut-parleurs internes des Mac les moins chers, comme sur les Mac connectés à des haut-parleurs haut de gamme. Sans demander rien à personne, et encore moins aux avocats, Reekes intègre ce son dans la ROM finale des nouveaux Mac.
Même s'il a surpris les utilisateurs au début, le nouveau chime a rapidement été adopté et aimé. Il a varié suivant les machines au début des années 90 avant de ne plus vraiment changer à partir de l'iMac G3. Contrairement aux autres sons de démarrage, ce chime restera longtemps dans le Mac, comme une sorte de logo sonore.
Sauf qu'en 2016, avec l'arrivée des Mac avec la puce T2, le son de démarrage a été purement et simplement supprimé. Cependant, il a fait son grand retour en 2020 avec l'introduction des nouveaux processeurs Apple Silicon. Il est tout de même possible de le désactiver.
Crash chime
L'autre son du Mac, mais que l'on a moins envie d'entendre, est le crash chime (aussi appelé Chime of Death). Il retendit quand l'ordinateur a un problème, notamment matériel. Sur les premiers Mac, tout problème était accompagné par l'affichage de l'icône du Sad Mac mais sans aucun son (mais avec un code erreur en hexadécimal, s'il vous plaît !).
Introduit avec le Macintosh II, le crash chime va beaucoup évoluer avec le temps.
J'aime beaucoup le crash chime du Mac II, à tel point que je l'ai utilisé comme son de fin d'épisode pour mon podcast.
Noter qu'à partir des années 90, le crash chime a changé au gré des avancées technologiques de l'audio. Cependant, cela a donné des sons assez bizarres. Du son de chute du Quadra AV (qui finit apparemment par un pet...), de l'accident de voiture du Power Mac 8100 jusqu'à la musique de film d'horreur des Power Mac LC...
Épilogue
Mais qu'en est-il des problèmes entre les deux sociétés Apple ? En 1991, Apple Computer paie 26,5 millions de dollars à Apple Corps : Cupertino peut faire des outils pour la musique, mais pas en distribuer.
Vous voyez le problème venir ? En 2001, l'iPod sort et en 2003 c'est l'iTunes Music Store qui voit le jour qui permet d'acheter des chansons. Apple (Computer) devient donc distributeur de musique ! Apple Corps répond dans les tribunaux et en 2006, la justice britannique juge qu'Apple Computer a le droit de vendre de la musique à partir du moment où c'est de la distribution numérique, différente de l'activité d'un label.
En 2007, en même temps qu'il présente le tout premier iPhone, Steve Jobs annonce qu'Apple Computer change de nom pour s'appeler Apple Inc. En coulisse, il se trouve qu'il a négocié avec Apple Corps : Steve Jobs a acheté les droits sur la marque Apple et il licencie au label la possibilité d'utiliser le nom.
Enfin, en 2010, le catalogue entier des Beatles est enfin disponible sur l'iTunes Music Store. Tout est bien qui finit bien.
