Tesla est une société souvent sous les feux des projecteurs. Elle est à l’origine du renouveau des voitures électriques. Ce qu’elle a fait est unique : créer une industrie tout en étant une nouvelle marque de voiture. Cependant, Tesla a réussi non pas en se comportant pas comme un constructeur classique, mais comme une véritable start-up.
Une évaluation stratosphérique décorrélée de la réalité économique
Cela ne correspond en aucun cas à la réelle valeur de la société. Rappelons que Tesla a vendu 1,79 million de voitures en 2024 (en légère baisse par rapport à 2023). Ses concurrents sont bien au-dessus, avec plus de 10 millions de ventes pour Toyota et 9 millions pour le groupe Volkswagen. Or, Toyota est évaluée à entre 200 et 300 milliards de dollars, et le groupe VW à 50 milliards. Évidemment, il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu concernant cette valorisation (le groupe VW a de nombreux problèmes depuis le dieselgate par exemple) mais nul doute que la valeur de l’action Tesla est surévaluée par rapport à la réalité du marché.
Cela ressemble beaucoup aux évaluations extraordinaires des start-up du milieu du numérique. Par exemple, Spotify n’avait jamais fait de bénéfices avant 2024 depuis sa création en 2008. Même chose chez Uber qui, pendant un temps, perdait un milliard de dollars par trimestre.
Le chiffre d'affaires de Tesla par rapport à ces concurrents : un contraste par rapport à son évaluation boursière.
Comment ces entreprises peuvent survivre pendant des décennies tout en perdant des milliards chaque année ? La réponse est simple : tout leur modèle économique s’appuie sur la promesse de bénéfices colossaux futurs. En attendant, l’entreprise fonctionne grâce aux fonds des investisseurs qui comblent les pertes. Afin d’en attirer éternellement, les start-up sont obligées de faire des annonces régulièrement pour démontrer leur vitalité.
Nous retrouvons ce fonctionnement chez Tesla.
Des annonces pour maintenir l’intérêt des marchés économiques
Tesla est habituée aux annonces impressionnantes qui font le tour du monde pendant des jours. Et souvent, ces annonces sont oubliées. Je pense particulièrement à la possibilité de changer de batterie. Ceci a été annoncé il y a plus de 11 ans. Elon Musk présente alors une Model S modifiée pouvant changer de batterie en 90 secondes, soit en moins de temps que pour faire un plein avec une voiture thermique.
C’est une technologie très intéressante, permettant de faire oublier les limites d’autonomie des voitures électriques. L’action de Tesla a d’ailleurs logiquement grimpé au lendemain de cette présentation. Cependant, le projet a été abandonné quelques années plus tard au profit des super chargeurs. Cela n’a pas empêché les concurrents, notamment chinois, de mettre en place exactement la même chose.
Et des annonces extraordinaires, rapidement oubliées, Tesla en a fait quelques-unes Par exemple, afin de faire passer une forte augmentation du prix de l’option FSD (Full-Self Driving : conduite supposée être autonome), Elon Musk fait une annonce fracassante. Il prétend que les Tesla vont gagner en valeur car leurs propriétaires pourront les utiliser comme taxis autonomes, leur permettant de gagner de l’argent sans rien faire.
Il a été précisé, après coup, qu’ils n’étaient pas autonomes lors de la présentation mais conduits à distance par des humains. De même, les robots Optimus, qui avaient impressionné tout le monde à la même présentation, étaient, eux aussi, contrôlés à distance.
D'ailleurs, cette annonce des robots Optimus est symptomatique à mes yeux du comportement de Tesla. Ne pouvant plus vraiment annoncer de nouvelles technologies folles, la société nous sort de son chapeau ces robots (qui, au départ, n'était qu'un homme dans un juste corps...). Dans la même veine, sa récente annonce d'offre d'achat d'OpenAI, pour un prix bien inférieur à celui du marché, ressemble aussi à un moyen de faire parler de Musk en positif, laissant un peu de côté les difficultés de Tesla.
On voit rarement des constructeurs automobiles faire ce genre d’annonces fracassantes qui, au final, ne correspondent pas à la réalité. Cependant, c’est une habitude dans le monde de la technologie. C’est ce qu’on appelle la proof of concept : on présente à quoi ressemblera le produit final afin d’avoir une cible à atteindre… et d’impressionner des investisseurs.
Si les annonces de ce genre se multiplient chez Tesla, c’est sans doute parce que le contrat historique d’Elon Musk est lié à la performance de l’action. Même s’il a été annulé, le contrat prévoyait un bonus de plus de 50 milliards de dollars…
N’oublions pas que le statut d’homme le plus riche du monde d’Elon Musk est essentiellement lié à la valeur de l’action Tesla. Ainsi, le constructeur est condamné à enchainer les annonces, quitte à ce qu’elles ne soient pas réalistes. Par exemple, qui se rappelle du camion Tesla ou du nouveau Roadster, annoncé en 2017 pour une sortie en 2020 ? D’ailleurs, Musk a ajouté qu’une option avec moteurs de fusée de SpaceX serait proposée… Nous sommes en 2025, et pour l'instant le nouveau Roadster n'est disponible qu'en miniature.
Bref, Elon Musk me rappelle parfois Peter Molyneux qui était un développeur de jeux vidéo de légende (Populous, Theme Park, Dungeon Keeper, Black & White, etc.). Il avait tendance à annoncer des fonctionnalités et concepts en interview que ces équipes découvraient en même temps que le grand public. Au final, elles ne se retrouvaient pas dans le jeu, décevant les joueurs.
Des avancées anecdotiques parfois problématiques
Les poignées de porte des Model S sortent pour être utilisées, mais parfois cela ne marche pas.
Outre des annonces fracassantes, Tesla est habitué à faire bouger les choses avec des fonctionnalités atypiques. Malheureusement, elles sont souvent la source de problèmes pour leurs clients. Commençons par les poignées rétractables apparues sur les Model S. Elles étaient présentées comme la solution pour limiter le coefficient de pénétration dans l'air. Le problème est qu’elles ont tendance à ne pas s’activer, notamment en hiver. Cela est devenu un tel problème qu’une class action a été lancé par les propriétaires de Model S.
C’est d’autant plus dommage qu’il existe depuis des décennies des poignées de portes pour voitures qui ne provoquent pas de trainée et qui fonctionnent tout le temps, même en hiver…
Autre exemple d’annonce qui a provoqué beaucoup de problèmes par la suite : les portes faucon de la Model X. J’avoue que j’adorais le concept quand je l’ai vu pour la première fois. Néanmoins, les propriétaires de Model X ont vite déchanté face aux problèmes de fiabilité récurrents.
Le changement du volant de la Model S pour un yoke, c'est-à-dire un volant proche de ce que l’on voit dans les voitures de course, est aussi une idée discutable. Or, c’est très pratique au quotidien, sauf pour les créneaux où le yoke ne permet pas de bien tenir le volant. C’est d’autant plus dangereux quand on se rend compte que le clignotant se situe sur le volant…
Le problème a été réglé avec le Cybertruck : comme le volant est commandé numériquement, il ne fait jamais plus d’un tour, rendant le mastodonte étonnamment agile.
La conduite autonome : un problème épineux
Elon Musk a fait des annonces régulièrement à propos de la conduite autonome des Tesla. En effet, cela fait plus de 10 ans maintenant qu’elle est annoncée pour l’année prochaine. C’est d’autant plus dommage que Musk lui-même vient d’admettre qu’il faudrait du matériel supplémentaire pour les Tesla soient complètement autonomes.
Et tant pis pour les personnes qui ont dépensé plus de 10 000$ pour l’option qui s’appelle, je le rappelle, Full Self-Driving. Option supplémentaire à celle appelée Autopilot, elle aussi bien nommée.
Encore une fois, Musk survend les capacités, quitte à publier une vidéo montrant une Tesla totalement autonome, pour ensuite avouer que ce n’était pas le cas, là encore plus une proof of concept qu’autre chose.
Apple a testé pendant des années voitures autonomes avant de jeter l'éponge.
Pour être honnête, la conduite autonome semble être problème extrêmement complexe que tout le monde dans le milieu de la technologie semble avoir sous-estimé. Apple le premier : Jony Ive a d’ailleurs fait une demo à Tim Cook d’une voiture autonome contrôlée par Siri, Siri étant jouée par une actrice…
Il semble qu’aux alentours de 2015, tout le monde dans la Silicon Valley s’est accordé pour penser que la conduite autonome était à portée de tir. On parlait d’une cible autour de 2020-2025. Pour l’instant, nous en sommes loin. Bien que le FSD soit impressionnant, même Elon Musk accepte de dire, qu’en l’état, ce n’est pas de la conduite totalement autonome et qu’il faudra du matériel supplémentaire. Bien que les taxis Waymo soient aussi des réussites technologiques, ils sont limités à certaines zones géographiques très précises, et ne sont pas encore rentables (tout en ne fonctionnant pratiquement pas sous la pluie et encore moins par temps neigeux).
Une concurrence qui se réveille
La BYD Seagull aura bientôt un logiciel de conduite autonome de série.
Outre les tâtonnements autour de la conduite autonome, il se trouve que Tesla n’est plus aussi en avance technologiquement sur la concurrence que par le passé. Quand il y a 10 ans, il n’y avait presque aucune voiture pouvant concurrencer la Model S, aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas.
Nous avons les constructeurs historiques qui proposent des voitures électriques aux capacités comparables aux Tesla. Que ce soit VW (qui a un partenariat fort avec Eve Energy et Rimac), BMW, Audi, Porsche, Mercedes, Renault, Hyundai ou encore Kia, tous proposent aujourd’hui des voitures électriques intéressantes, comparables aux Tesla.
La Rimac Nevera, une hypercar électrique concurrente de la Tesla Roadster mais déjà disponible depuis des années.
Mais ce n’est pas tout. Non seulement les constructeurs historiques deviennent de sérieux concurrents, mais Tesla fait face aussi à de nouvelles menaces venant de Chine. Or, c’est un marché primordial pour le constructeur américain. Entre BYD, Xiaomi ou encore MG, les chinois offrent un choix important avec des prix bien plus bas que les concurrents occidentaux. Rappelons, par exemple, que BYD gagne plus d’argent et vend plus de voitures électriques que Tesla.
BYD vient d’ailleurs d’annoncer que toutes ses voitures, y compris sa petite citadine Seagull vendue aux alentours de 10 000€, seront livrés avec un logiciel de conduite autonome appelé God’s Eye, de série. D'après les tests en Chine, il a des performances similaires au FSD de Tesla qui coûte aux alentours de 10 000$ en option.
Cependant, il faut admettre que l'expérience globale d'une Tesla est encore bien supérieure à la concurrence. Beaucoup de voitures électriques d'autres marques ont des systèmes d'exploitation encore buggés ou sans des fonctionnalités de base comme le mode sentinelle. Mais cet avantage est-il encore suffisant et le sera-t-il encore longtemps ?
L’avenir s’avère plus compliqué que prévu pour Tesla. D’autant plus que les ventes sont en forte baisse partout dans le monde, sans doute à cause du comportement d’Elon Musk (Didier me dit dans l’oreillette que cela peut être dû aussi à l’attente de la nouvelle Model Y). Avec des annonces qui peinent à se réaliser et une concurrence de plus en plus présente, le business model de Tesla peut être remis en question.