À Madrid, le groupe de Mark Zuckerberg est confronté à une plainte collective inédite. Près de quatre-vingts journaux espagnols accusent la maison-mère de Facebook, Instagram et WhatsApp de pratiques publicitaires déloyales. Le procès — qui s'est tenu les 1er et 2 octobre — pourrait marquer un tournant dans les relations entre plateformes et éditeurs.
Une bataille autour de la publicité segmentée
Le cœur du conflit repose sur la publicité segmentée, pierre angulaire du modèle économique de Meta. Les éditeurs espagnols estiment que l’entreprise a utilisé ses capacités de ciblage pour accaparer une part disproportionnée du marché publicitaire numérique, au détriment de la presse locale.
Selon leurs avocats, la firme aurait profité de sa domination pour capter des revenus que les médias, en tant que producteurs de contenus, auraient dû percevoir. Le préjudice est évalué à 550 millions d’euros sur une période de cinq ans, de 2018 à 2023.
Un procès sous haute tension
Durant les deux journées d’audience, les représentants des journaux ont insisté sur le déséquilibre flagrant des forces en présence : d’un côté, des entreprises de médias dépendant d’abonnements et de recettes publicitaires ; de l’autre, une plateforme capable de cibler finement les utilisateurs grâce aux données collectées sur ses milliards d’inscrits.
Meta, quant à elle, nie cette interprétation. Pour elle, ses outils publicitaires profitent également aux éditeurs, qui peuvent eux-mêmes cibler leurs campagnes et toucher de nouveaux lecteurs via Facebook et Instagram. La firme conteste donc toute concurrence déloyale et insiste sur son rôle d’accélérateur de visibilité pour les médias.
Une décision attendue sous vingt jours
Le tribunal de commerce de Madrid dispose désormais de vingt jours ouvrables pour rendre son verdict. Quelle que soit l’issue, le jugement fera jurisprudence en Espagne, et potentiellement au-delà, dans un contexte européen déjà marqué par la mise en œuvre du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA).
Ce procès illustre une tendance lourde : les éditeurs européens cherchent à rééquilibrer les rapports de force face aux grandes plateformes technologiques, accusées d’aspirer l’essentiel des revenus publicitaires. Après la France, l'Italie et l’Australie, où des accords de rémunération pour l’usage des contenus de presse ont été arrachés à Google et Meta, l’Espagne pourrait devenir un nouveau champ de bataille réglementaire et judiciaire. Il revient désormais à la justice espagnole de se prononcer : soit donner raison à la presse, soit conforter Meta dans son modèle économique.