Le patron de Ford a déclaré dans une interview ne pas dormir la nuit à cause des voitures BYD qu’il considère de grande qualité. Mais pourquoi donc ?
Le BYD Shark, concurrent direct au fer de lance de Ford : le F150.
Jim Farley, le PDG de Ford, n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal. On se rappelle sa sortie récente où il indique ne pas rouler en Ford mais en Xiaomi. En creux, il disait qu’il adorait cette voiture et qu’elle était bien meilleure que n'importe quel Ford, tout en étant moins chère. Il voulait souligner le fait que les constructeurs chinois, comme BYD et Xiaomi, devenaient une menace de plus en plus importante. Il est impressionné par leur capacité à produire à bas prix tout en maintenant une qualité élevée.
Le passage à l’électrique difficile de Ford
Ce n’est pas la première fois que Jim Farley tire la sonnette d’alarme. En effet, malgré de lourds investissements et des modèles mythiques qui passent à l’électrique, comme le F150 et la Mustang, les pertes s’amoncellent. Ford n’arrive pas à produire des voitures électriques avec des coûts raisonnables, les rendant trop chers, avec peu ou pas de marge et ne trouvant pas preneur sur un marché concurrentiel.
F150 Lightning : version électrique de la voiture la plus vendue aux USA.
Cela a obligé le constructeur américain à ralentir sur l’électrique au profit de technologies hybrides, comme ses concurrents Volkswagen et GM par exemple.
Jim Farley en remet une couche
Donc, après avoir dit qu’il roulait en Xiaomi et qu’il adorait cela, le patron de Ford remet une pièce dans la machine. En effet, lors d’une interview à un site espagnol spécialisé dans les voitures électriques, il raconte comment ses équipes ont démonté une BYD et ont été surpris par ce qu’ils ont trouvé.
BYD est capable de faire des voitures qui sautent les obstacles sur la route, et Ford ?
Il faut expliquer qu’il est courant que des constructeurs achètent des voitures de leurs concurrents pour les démonter complètement, pour voir comment elles sont montées, quels équipements sont choisis, etc. Bon, parfois en le faisant comme des sagouins, comme Mercedes.
Ford a pu ainsi se rendre compte de l’avance des constructeurs chinois sur l’industrie américaine. L’utilisation de batteries au lithium fer phosphate réduit considérablement les coûts. Non seulement parce qu'elles sont moins chères à produire que les batteries classiques de type nickel manganèse cobalt mais aussi car elles sont produites en interne. Sans compter qu'en parallèle, les constructeurs chinois n'hésitent pas à produire des modèles de prestige aux capacités étonnantes.
« Ce qui me fait vraiment perdre le sommeil, c’est la vitesse à laquelle les Chinois innovent. »
Jim Farley, patron de Ford.
De plus, l'intégration verticale de la production leur permet de mieux maitriser les technologies tout en limitant les coûts et en se libérant de la puissance de négociation des nombreux fournisseurs. En effet, les voitures sont un assemblage de pièces dont peu sont produites par les constructeurs eux-mêmes. Par exemple, les phares, les airbags, les différentes pompes, les suspensions, la climatisation et même la boite de vitesse sont souvent achetés à des équipementiers comme Valéo ou Bosch. Si une part importante de votre produit est composée d'éléments achetés à des fournisseurs, ceux-ci ont un pouvoir de négociation important, vous faisant perdre de la marge qui est déjà faible dans l'industrie automobile.
Des usines chinoises en avance
Non seulement Ford a démonté une BYD, mais son patron est allé visiter des usines en Chine. Là aussi, c’est le choc : il a été frappé par la capacité de ces entreprises à développer des technologies avancées et à lancer des modèles très compétitifs en un temps record. En effet, les constructeurs chinois arrivent à créer un modèle en moyenne deux à trois fois plus rapidement que leurs concurrents occidentaux.
Les usines gigantesques de BYD en Chine.
Farley en tire des leçons : l’industrie automobile chinoise est une menace existentielle pour Ford et les marques américaines. En réponse à la concurrence croissante des constructeurs chinois, Ford a amorcé une réorientation stratégique profonde. L’un des axes majeurs de cette transformation est le développement d’un nouveau modèle électrique abordable, destiné à concurrencer des véhicules comme le Kia Niro ou le Hyundai Kona. Ce futur modèle vise à répondre à la demande croissante pour des voitures électriques compactes et bon marché, un segment sur lequel les marques chinoises excellent déjà.
Parallèlement, Ford mise sur la création d’une plateforme technique entièrement nouvelle et économique, conçue pour accueillir ces futurs véhicules. Ce projet est dirigé par Alan Clarke, un ancien ingénieur de Tesla, reconnu pour son expertise dans les architectures électriques à bas coût. L’objectif est clair : concevoir une base technique suffisamment flexible et optimisée pour permettre une production de masse à prix réduit et ainsi concurrencer les voitures chinoises..
Ford a déjà essayé de moderniser ses usines aux USA, notamment celle qui produit les F150 Lightning. Mais il faudra encore aller plus loin.
Pour rivaliser avec les constructeurs chinois, Ford veut transformer sa manière de produire ses véhicules, en s’appuyant sur de nouveaux fournisseurs dans le but de réduire ses coûts de fabrication. Il ne s’agit plus seulement d’innover technologiquement, mais de réussir à industrialiser cette innovation rapidement et de manière massive.
Jim Farley résume cette inquiétude avec lucidité : Ce qui m’inquiète vraiment, c’est notre capacité à exécuter ces technologies à grande échelle.
Une industrie automobile américaine en crise permanente
Depuis les années 1970, l’industrie automobile américaine semble enfermée dans un cycle de crises successives. Après avoir dominé le monde pendant des décennies, les grands constructeurs comme Ford, General Motors ou Chrysler ont vu leur suprématie remise en cause d’abord par le Japon, puis par la Corée du Sud, et désormais par la Chine. Chacune de ces vagues concurrentielles a exposé les faiblesses structurelles de Detroit : lourdeur industrielle, lenteur d’adaptation et sous-estimation des nouvelles tendances du marché.
La Honda Civic : symbole de l'attaque japonaise sur l'industrie automobile américaine.
L’irruption des constructeurs japonais dans les années 1970 et 1980 a été le premier choc majeur. Toyota, Honda ou Nissan proposaient des véhicules plus fiables, plus économes en carburant, et mieux adaptés aux attentes des consommateurs américains en pleine crise pétrolière. Les Big Three ont réagi tardivement, englués dans des logiques de production de masse et des modèles énergivores. Résultat : des parts de marché perdues, une image écornée, et une première série de restructurations.
Un épisode entier des Simpson portait sur la similitude du H de Honda et de celui Hyundai.
Dans les années 2000, ce sont les marques coréennes, comme Hyundai et Kia, qui ont pris le relais. Leur montée en gamme rapide, combinée à des prix agressifs et une qualité de fabrication en hausse, a encore fragilisé les constructeurs américains. Une fois de plus, ces derniers ont dû revoir leurs gammes, investir dans la qualité perçue, et tenter de rattraper leur retard technologique.
Aujourd’hui, la menace vient de Chine, mais le schéma se répète : des concurrents plus agiles, capables d’innover vite, de produire à moindre coût, et de lancer des modèles qui séduisent un public mondial. L’automobile américaine semble condamnée à réagir plutôt qu’à anticiper, dans un monde où les cycles technologiques s’accélèrent et où la transition électrique impose une refonte totale de la chaîne de valeur.
Par ses différentes prises de parole, nul doute que Jim Farley a la volonté de provoquer un électrochoc au sein de Ford afin d’avoir la possibilité de faire changer l’entreprise pour la faire entrer dans l’ère de l’électrique. Mais est-ce que cela sera suffisant ? Seul le temps nous le dira.