Après une erreur factuelle de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, hier soir lors de l’interview d’Emmanuel Macron sur TF1 concernant la production de la Renault Zoé, la syndicaliste est attaquée de toutes parts pour cette bévue. Pourtant, sur le fond, elle soulève une vraie question : Renault fabrique-t-il encore ses voitures en France ?
La Renault Zoé n’est même plus produite (hélas)
L’échange entre Sophie Binet et Emmanuel Macron sur la production de la Renault Zoé a rapidement enflammé les réseaux sociaux et les rédactions. La syndicaliste a affirmé que la Zoé était désormais fabriquée en Roumanie, ce qui est factuellement faux : le modèle a été arrêté en 2024 et n’a jamais été produit dans ce pays. Pour autant, balayer la remarque d’un revers de main reviendrait à occulter une réalité bien plus large. Depuis plusieurs décennies, Renault a largement délocalisé la production de ses véhicules. Et même si la tendance pourrait partiellement s’inverser, la France n’est plus, et de loin, l’atelier principal de Renault, ce que l’on peut regretter, surtout quand on est syndicaliste.
Une production française en net recul
En 2025, environ 20 % des voitures Renault sont encore produites en France, soit une sur cinq. Sur les 2,4 millions de véhicules produits par Renault Group dans le monde en 2023, seuls 500 000 ont été assemblés sur le sol français. La production nationale, autrefois centrale, ne joue plus qu’un rôle minoritaire dans la stratégie industrielle du constructeur.
Le tournant s’est amorcé dès les années 1980 avec l’internationalisation de l’entreprise. Renault a alors commencé à produire en Espagne, en Turquie, en Belgique, puis plus tard en Slovénie, en Roumanie, au Maroc, et jusqu’en Corée du Sud et en Amérique du Sud. Cette dynamique s’est fortement accélérée dans les années 2000 avec le succès de la marque Dacia, produite principalement en Roumanie et au Maroc, avec des modèles à bas coûts destinés aux marchés émergents ou à l’export.
En 2010 déjà, plus de 70 % des Renault vendues en France étaient produites à l’étranger. La Clio IV, par exemple, a été fabriquée majoritairement en Turquie dès sa sortie en 2012, alors que le modèle précédent était encore produit pour moitié à Flins. Cette chute progressive de la production française s’est poursuivie jusqu’à tomber autour de 18-20 % dans les années 2020.
Le cas de Flins
C’est dans ce contexte qu’intervient l’erreur évidente de Sophie Binet. La Renault Zoé n’a pas été transférée en Roumanie : elle a tout simplement été arrêtée. Et l’usine de Flins, où elle était produite, a cessé l’assemblage de véhicules neufs en 2023-2024. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, le site n’a pas été abandonné. Il a été reconverti en “Refactory”, un pôle dédié à l’économie circulaire, au reconditionnement de véhicules d’occasion et à la réparation de batteries. Des embauches y ont même été annoncées récemment.
Une volonté de relocalisation
Depuis l’arrivée de Luca de Meo à la tête de Renault en 2020, le groupe affiche une volonté affirmée de relocaliser certains modèles en France, en particulier les véhicules électriques. Le plan stratégique "Renaulution" prévoit de doubler la production française d’ici 2030 par rapport à 2019. Ce virage s’incarne par exemple dans le projet Renault ElectriCity, qui regroupe les usines de Douai, Maubeuge et Ruitz dans les Hauts-de-France. Ces sites accueillent la production de la future Renault 5 électrique, du 4L électrique ou encore du Scénic E-Tech.
La Mégane E-Tech est d’ailleurs déjà assemblée à Douai. Les moteurs électriques sont produits à Cléon, les utilitaires à Maubeuge et Sandouville, les gros fourgons à Batilly, et les châssis à l’usine du Mans. Autant de preuves que Renault n’a pas totalement déserté le territoire français, mais concentre désormais sa production nationale sur des segments plus stratégiques.
Usine Dacia en Roumanie
Oui mais...
Hélas, ces relocalisations sont toujours très minoritaires en volume, et elles le resteront. La mondialisation de la production demeure le socle de la stratégie industrielle de Renault. Le constructeur exploite 21 usines d’assemblage dans le monde, et 34 sites industriels au total. Dacia continue de produire ses modèles les plus abordables hors de France, notamment au Maroc et en Roumanie, avec des volumes importants exportés vers l’Europe. Le SUV Arkana vient de Corée du Sud, certaines Clio de Turquie, et la Twingo électrique sera produite en Slovénie.
Cette organisation internationale permet à Renault de s’adapter aux différents marchés, mais surtout de réduire ses coûts de production et de sécuriser ses chaînes d’approvisionnement. Cette logique économique constitue clairement un frein à une relocalisation massive, malgré les appels au patriotisme industriel incarnés par cette intervention de Sophie Binet.
Une erreur de forme, pas de fond
L’affirmation de Sophie Binet sur la Zoé était donc bien factuellement erronée, et les rectifications étaient nécessaires. Mais réduire le débat à cette seule inexactitude masque le problème de fond : celui de la désindustrialisation progressive du secteur automobile français.
Renault a massivement délocalisé sa production au fil des décennies, même si l’entreprise semble amorcer un mouvement inverse sur certains modèles stratégiques. En fait, le Made in France revient, mais à dose très limitée, dans un contexte où la compétitivité globale reste la priorité. Le plus important n’est peut-être pas de pointer une erreur de date ou de pays, mais de comprendre la trajectoire globale d’un groupe, coincé entre mondialisation, innovation et réancrage territorial difficile.