Cela fait des années qu’Apple voit ses employés les plus méritants partir vers la concurrence. Que ce soit Google, Facebook, Microsoft ou encore Tesla, ils semblent être plus attrayants que la firme de Cupertino. Pourquoi ?
Le patron de l’IA d’Apple est annoncé sur le départ. Ce n’est pas une surprise, étant donné les nombreuses difficultés de la société dans le domaine. La bonne nouvelle est qu’il a été remplacé par quelqu’un qui semble être compétent, Amar Subramanya, ancien de Microsoft et de DeepMind.
Cependant, l'arrivée de John Giannandrea avait été aussi saluée à l’époque comme une bonne nouvelle pour Apple. Si l’on regarde de plus près les arrivées et les départs d’employés de la firme à la pomme, on se rend compte qu’il y a un problème.
Un exode continu qui s’accélère
La liste des départs est assez impressionnante. Non seulement beaucoup d’employés quittent Apple, ce qui est normal étant donné la taille de l’entreprise, mais ils sont souvent de haut niveau et ils partent pour un concurrent direct.
Jony Ive et Sam Altman attirent beaucoup d'employés d'Apple.
Prenons OpenAI, Brandon McKinzie (IA) les rejoint en 2025, tout comme Dian Ang Yap (IA). Quand ce n’est pas pour rejoindre OpenAI, c’est pour aller dans la nouvelle société de Jony Ive, LoveFrom, qui travaille sur un appareil secret pour OpenAI. Ainsi, Cyrus Daniel Irani, qui a travaillé pendant plus de 15 ans chez Apple, rejoint Jony Ive, ainsi que Matt Theobald, ancien responsable design industriel. Erik de Jong, ex-codirecteur de l’ingénierie Apple Watch, a signé lui aussi pour aller travailler chez LoveFrom.
Meta en profite grandement
C’est l’hécatombe parmi l’équipe IA d’Apple. Outre ceux que l’on vient de citer, on peut ajouter Ruoming Pang, ancien chef de l’équipe d’IA générative d’Apple, qui est allé travailler pour Meta. Liutong Zhou, ancien chercheur IA d’Apple, travaille désormais pour Cohere. Mark Lee, Tom Gunter, Bowen Zhang, Shuang Ma : ces ingénieurs IA sont partis aussi pour Meta.
Mark Zuckerberg sur le talent des employés d'Apple pour booster ses IA.
Zuckerberg aime débaucher chez la concurrence, il adore notamment récupérer des chercheurs et ingénieurs séniors d’Apple. Meta en a débauché plus d’une demi-douzaine en quelques mois, parmi lesquels Jian Zhang (robotique), et Frank Chu (infrastructure cloud et recherche)
Mais surtout, le départ qui a fait mal, c’est celui de Ke Yang pour Meta. Directeur de la recherche IA d’Apple, il avait lui-même hérité de la direction de l’équipe après le départ de Robby Walker, l’ancien responsable de la refonte de Siri. Ce dernier avait lui aussi quitté l’entreprise, épuisé par les retards et les revirements autour d’Apple Intelligence. Le départ de Ke Yang fait d’autant plus mal qu’il venait à peine d’être nommé, jetant encore plus le doute sur la capacité d’Apple à reprendre en main ses équipes d’IA.
Et comment ne pas aborder la toute dernière acquisition de Meta, le designer en chef d'Apple Alan Dye (et son acolyte Billy Sorrentino) ? Bien que je ne sois pas un fan du travail de l'homme, le fait qu'il soit débauché ainsi par un concurrent direct est une claque monumentale pour la société de Tim Cook. Clairement, tout le monde part, que ce soit les ingénieurs talentueux, mais aussi parmi les plus hauts postes.
Une année 2025 charnière
Et tous ces départs, c’est uniquement pour l’année 2025. Ils étaient nombreux aussi dans le passé, mais il semble que le rythme s’accélère, notamment à cause des problèmes de Siri et d’Apple Intelligence qui démotivent les troupes qui finissent par partir.
Les cofondateurs d'Humane, créateurs de l'AI Pin, sont des anciens d'Apple.
Et quand ils ne partent pas pour la concurrence, ils créent leur propre entreprise. C’est le cas d’Imran Chaudhri (qui a travaillé sur l’interface de l'iPhone), de Bethany Bongiorno (interface graphique), de Patrick Gates (ex-directeur de l'ingénierie d'iCloud, FaceTime et Messages), de Ruben Caballero (vice-président de l'ingénierie chez Apple et membre de l'équipe en charge de l'iPhone originel) qui ont commis l’AI Pin.
Et quand Apple arrive à acheter une entreprise pleine de talents, comme les créateurs de Workflow qui deviendra Raccourcis, cela ne se passe pas comme prévu. En effet, ils quittent Cupertino pour créer une autre entreprise, qui sera au final rachetée par OpenAI...
L’IA en crise
Tous ces départs s’expliquent par la crise actuelle que subit Apple concernant la gestion des IA. L’entreprise est en train de tout remettre à plat et certains, en interne, ont dû se dire que ce serait mieux d’aller voir ailleurs. Cela fait 15 ans que Siri ne fonctionne pas correctement, alors que les concurrents montrent des produits prometteurs et innovants. Ce n’est pas étonnant que les ingénieurs regardent là où l’herbe est plus verte.
Le retard pris par Apple Intelligence, avec les fausses promesses mises en avant dans des publicités qui ont été retirées, ont dû en refroidir plus d’un. La crise est tellement profonde que presque la totalité de l’équipe en charge des IA d’Apple est partie à la concurrence. Nul doute qu’il n’a été facile de travailler dans ces services ces dernières années, tellement ils ont travaillé sous pression pour des résultats plus que décevants.
Des rémunérations mirobolantes
Vous imaginez donc bien que, dans ces conditions, si vous recevez des offres de concurrents, vous allez l’écouter avec attention. D’autant plus quand ce qui est proposé au niveau des salaires est hors norme. On parle de bonus à la signature, comme pour les joueurs de football, de l’ordre de plusieurs dizaines, voire centaines, de millions de dollars.
Or, Apple est connue pour ne pas fournir de gros salaires et proposer des participations limitées. De manière générale, le salaire moyen d’un ingénieur chez Apple est inférieur à celui d’un ingénieur chez Google ou encore Meta. Apple mise davantage sur les actions restrictives à long terme. En effet, l’action de la société de Cupertino a historiquement un très bon rendement. Cependant, pas sûr que les employés soient persuadés que cette performance va continuer à l'avenir. De leur côté, la concurrence mise aussi sur des primes qui rendent les postes plus attractifs sur le court terme.
Le prestige d’Apple ne suffit plus
Apple essaie d’attirer, et de garder, les talents plus par le prestige de l’entreprise que par les compensations financières. Précédemment, l’idée de travailler sur un projet d’Apple était seule une excellente motivation. Tout le monde voulait travailler sur le prochain iPhone. Néanmoins, quand les derniers projets sont un Vision Pro qui fait rêver personne ou des projets abandonnés comme l’Apple Car à cause d’une IA déficiente, cela ne peut plus être la seule stratégie pour attirer et garder les meilleurs éléments.
Quand Apple pouvait se targuer de travailler sur des projets à la pointe de la technologie, permettant d’attirer les meilleurs profils, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Les jeunes ingénieurs sont plus attirés par les dernières IA de type LLM, les robots, la conduite autonome ou par ce que peut proposer Starlink.
De plus, Apple est historiquement contre le travail à distance. Si vous voulez travailler sur les projets les plus intéressants, il faut déménager dans la Silicon Valley pour être le plus proche de Cupertino et de l’Apple Park. Or, le coût de la vie dans la région a augmenté de manière exponentielle depuis une quinzaine d’années. De nombreux ingénieurs, payés plusieurs centaines de milliers de dollars par an, sont obligés de faire de la colocation, tant les prix de location, et d’achat, sont devenus fous. Vous pensez bien qu’un ingénieur, qui peut être mieux payé en venant chez Meta que chez Apple, tout en travaillant à distance dans une belle maison sans devoir déménager (lui et sa famille) et à payer un loyer exhorbitant, ne va pas hésiter longtemps.
Exemple de bus affrété par Google pour faire la navette journalière pour ses employés.
Ce n’est pas pour rien que Google met en place depuis des années un système de transport par bus. Cela permet à ses employés qui habitent loin de Moutain View, à cause des loyers exhorbitants, de pouvoir venir travailler confortablement. Et cela, avec un Wi-Fi haut débit leur permettant d’avancer leur travail pendant le transport…
Il est temps qu’Apple propose enfin des conditions de travail similaires à la concurrence et fasse un peu plus rêver les ingénieurs avec des projets inspirants.
Un air de fin de règne
Il est loin le temps où Steve Jobs s’entendait avec la concurrence, illégalement, pour éviter que les GAFAM se fassent débaucher leurs employés. Apple se fait piller ses meilleurs talents par ses concurrents directs. Dans le même temps, on parle d'un départ de Tim Cook pour bientôt, peut-être même 2026. Nous sommes à un moment décisif pour Cupertino : la fin de l'âge d'or.
John Ternus, priez pour nous.
Avec les nombreux départs, des restructurations à tous les niveaux, le départ à la retraite, ou le retrait, de figures historiques comme Phil Schiller, Jeff Williams ou encore Lisa Jackson, l'Apple mis en place par Steve Jobs est en train de disparaître. Et c'est pour le mieux, Cupertino doit évoluer si elle veut répondre aux défis futurs, et cela demande des changements drastiques en interne, avec notamment un nouveau CEO.
