Voilà un nouveau bras de fer entre Apple et les autorités européennes. La firme vient de déclarer -via un communiqué transmis à l’agence de presse allemande DPA, qu’elle pourrait désactiver App Tracking Transparency (ATT) au sein de l'UE, en raison d'intenses efforts de lobbying menés en Allemagne, en Italie et dans d’autres pays européens.
Un outil symbole de la stratégie “pro-vie privée”
Introduite en mai 2021, l'App Tracking Transparency est une fonctionnalité majeure d’iOS qui permet aux utilisateurs de choisir s’ils autorisent ou non les applications à suivre leur activité sur d’autres apps et sites web à des fins publicitaires.
Cette mesure a été saluée à l’époque pour sa défense du droit à la vie privée, mais a profondément bouleversé le modèle économique de la publicité ciblée. Selon plusieurs études, la mise en place d’ATT aurait entraîné une baisse de près de 55 % du suivi publicitaire aux États-Unis, réduisant drastiquement les revenus de certaines plateformes, à commencer par Meta, qui aurait alors cherché à contourner la restriction.
L’Europe contre-attaque : accusations d’abus de position dominante
Mais en Europe, l'ATT est loin de faire l’unanimité. En Allemagne, le Bundeskartellamt (l’Office fédéral de la concurrence) a rendu cette année une évaluation préliminaire selon laquelle Apple pourrait profiter de sa position dominante en appliquant des règles de confidentialité plus strictes aux autres développeurs qu’à ses propres services. La France a d’ailleurs infligé à Apple une amende pour pratiques anticoncurrentielles autour d’ATT il y a quelques mois.
Pour sa défense, Apple maintient qu’elle applique des standards de confidentialité encore plus élevés à ses propres applications : Apple se tient à un niveau d’exigence supérieur à celui qu’elle impose aux autres développeurs. Nos services — Siri, Plans, FaceTime, iMessage — ont été conçus pour que nous ne puissions pas relier les données entre eux, même si nous le voulions.
« Une victoire pour les annonceurs, une défaite pour les utilisateurs »
Apple accuse désormais certains acteurs du marché — régies publicitaires, associations professionnelles et plateformes concurrentes — d’avoir orchestré un lobbying intensif pour forcer Bruxelles et les régulateurs nationaux à faire plier sa politique de confidentialité.
Ces pressions pourraient nous contraindre à retirer cette fonctionnalité, au détriment des consommateurs européens, a indiqué Apple. Nous continuons d’exhorter les autorités à nous permettre de maintenir cet outil essentiel pour la vie privée de nos utilisateurs.
Un test politique
Si Apple mettait sa menace à exécution, les utilisateurs européens d’iPhone perdraient l’une des protections de vie privée les plus emblématiques de la marque. ET franchement dans le carcan normatif, cette disposition était plutôt appréciable. Mais la décision pourrait aussi servir de coup de pression stratégique : montrer que la régulation du numérique, entre protection du consommateur et concurrence, atteint parfois ses propres limites.
Une chose est sûre : le modèle d’Apple — fondé sur la confidentialité comme argument commercial — se heurte désormais de plein fouet aux ambitions de l’Union européenne d’imposer plus de transparence et d’ouverture dans les écosystèmes mobiles. Et ce nouvel affrontement pourrait bien redéfinir, encore une fois, l’équilibre entre vie privée et concurrence dans l’économie numérique.