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Thierry Breton et plusieurs autres Européens bannis des États-Unis par Washington. Mais pourquoi ?

Par Vincent Lautier - Publié le

L'administration Trump vient de frapper un grand coup contre la régulation européenne du numérique. Cinq personnalités européennes, dont l'ancien commissaire Thierry Breton, sont désormais interdites d'entrée aux États-Unis pour avoir prétendument encouragé la censure des plateformes américaines.

Thierry Breton et plusieurs autres Européens bannis des États-Unis par Washington. Mais pourquoi ?


Une mesure inédite contre des régulateurs européens



Le département d'État américain a annoncé l'interdiction de visa pour cinq personnalités européennes impliquées dans la régulation du numérique. Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur de 2019 à 2024, est présenté par Washington comme le "mastermind" du Digital Services Act, la législation européenne que vous connaissez bien, qui impose des règles strictes de modération aux grandes plateformes. Sont également visés Imran Ahmed, directeur du Center for Countering Digital Hate, Clare Melford du Global Disinformation Index, mais aussi Josephine Ballon et Anna-Lena von Hodenberg de l'ONG allemande HateAid.

Le secrétaire d'État Marco Rubio accuse ces cinq personnes d'avoir mené des efforts organisés pour contraindre les plateformes américaines à censurer, démonétiser et supprimer les points de vue américains qu'ils désapprouvent. La décision arrive quelques semaines après l'amende de 120 millions d'euros infligée à X par la Commission européenne pour violation du DSA.

Thierry Breton et plusieurs autres Européens bannis des États-Unis par Washington. Mais pourquoi ?


Un climat de tension



Cette annonce arrive dans un contexte de confrontation ouverte entre Washington et Bruxelles sur la gouvernance du numérique. La Chambre des représentants américaine a publié un rapport qualifiant le DSA de "menace de censure étrangère" contre la liberté d'expression américaine. Le texte reproche à l'Union européenne de forcer les plateformes à modifier leurs politiques de modération à l'échelle mondiale, ce qui affecterait de fait les utilisateurs américains.

L'administration Trump estime que les régulations européennes constituent une atteinte à la souveraineté américaine. Washington a d'ailleurs suspendu un accord de coopération technologique avec le Royaume-Uni, critiquant également l'Online Safety Act britannique. Marco Rubio a prévenu que le département d'État était "prêt à élargir" la liste des personnes interdites de séjour.

Marco Rubio
Marco Rubio


Breton dénonce une "chasse aux sorcières"



L'ancien commissaire européen n'a pas tardé à réagir sur X, et a dénoncé un vent de maccarthysme en référence à la chasse aux communistes des années 1950. Il a rappelé que le DSA avait été adopté par 90 % du Parlement européen et à l'unanimité des 27 États membres. À nos amis américains : la censure n'est pas là où vous le pensez, a-t-il lancé.

La France a condamné "fermement" ces restrictions. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a affirmé que l'Europe ne peut pas laisser les règles régissant son espace numérique lui être imposées par d'autres. Le Global Disinformation Index a qualifié la décision américaine d'"attaque autoritaire contre la liberté d'expression".

Pour rappel, les impacts du DSA et du DMA sur Apple



Cette hostilité américaine s'explique aussi par l'impact très concret que le tandem réglementaire européen (le DSA pour les contenus et le DMA pour la concurrence) a eu sur les fleurons de la Silicon Valley, en particulier Apple, on ne le sait que trop bien. Sous la pression de Bruxelles, la firme de Cupertino a dû céder sur des principes qu'elle jugeait inviolables :

  • L'ouverture de l'iPhone : Apple a été contraint d'autoriser les magasins d'applications tiers (sideloading) en Europe, brisant de fait son monopole sur la distribution des apps. On sait qu'iPhone Mirroring est toujours bloqué en Europe pour les mêmes raisons.
  • La connectique : L'obligation du port USB-C a forcé Apple à abandonner sa prise Lightning propriétaire.
  • Le retard de l'IA : Le déploiement d'Apple Intelligence a été bloqué et retardé en Europe pendant des mois, Apple craignant que les exigences d'interopérabilité du DMA ne compromettent la sécurité de ses utilisateurs.


On en dit quoi ?



Difficile de ne pas voir dans cette décision un message adressé directement à Bruxelles après l'amende infligée à X. C'est assez révélateur que Washington accuse l'Europe de censure en interdisant de séjour ceux qui luttent contre la désinformation. Puis alors juste avant Noël en plus, c'est assez improbable. La vraie question maintenant : est-ce que l'Union européenne va reculer sur le DSA face à ces pressions, ou au contraire durcir le ton ? Les prochaines semaines risquent d'être tendues entre les deux côtés de l'Atlantique. Que pensez-vous de cette situation ? Est-ce que vous comprenez la posture américaine ?